Page:Victor Brochard - Les Sceptiques grecs.djvu/275

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
265
ÆNÉSIDÈME. — SON SCEPTICISME.

l’incorporel, étant incapable de contact, ne peut ni agir ni pâtir[1].

De même que l’incorporel n’engendre pas l’incorporel, un corps ne peut produire l’incorporel, ni l’incorporel un corps : car le corps ne renferme pas en lui-même la nature de l’incorporel, ni l’incorporel celle du corps. Du platane ne naît pas un cheval, parce que la nature du cheval n’est pas contenue dans celle du platane ; d’un cheval ne peut naître un homme, parce que la nature de l’homme n’est pas contenue dans celle du cheval. De même d’un corps ne sortira jamais l’incorporel, parce que la nature de l’incorporel n’est pas dans celle du corps, et, inversement, de l’incorporel il ne sortira jamais un corps.

Bien plus, l’un des deux fût-il dans l’autre, il ne sera pas engendré par l’autre, car, si chacun existe, il ne nait pas de l’autre, mais possède déjà la réalité : existant déjà, il ne peut être engendré, car la génération est un acheminement vers l’être. Ainsi, le corps n’est pas la cause de l’incorporel, ni l’incorporel du corps. D’où il suit qu’il n’y a pas de cause.

Cette argumentation d’Ænésidème se complétait par l’énumération, dans le Ve livre des Πυῤῥώνειοι λόγοι[2] de huit tropes particulièrement destinés à réfuter ceux qui croient à l’existence des causes : Sextus nous en a conservé la liste en des termes assez obscurs.

Ces tropes diffèrent de ceux qu’on a énumérés précédemment non seulement par leur objet, mais par la manière dont ils sont présentés. Il ne s’agit plus ici d’opposer les unes aux autres des opinions d’égale valeur et contradictoires, mais seulement d’indiquer des manières de mal raisonner sur les causes : le mot trope est employé dans un sens nouveau. La liste d’Ænésidème est à vrai dire une liste de sophismes.

  1. Saisset croit voir ici un sophisme. « Raisonner ainsi, dit-il, c’est supposer cette majeure : une cause ne peut agir que par contact. Or, qui accorde cette majeure ? Personne, que je sache, excepté les matérialistes. » Mais sans parler des stoïciens, cette thèse est celle d’Aristote : Gen. an., II, 1, 734, A : κινεῖν γὰρ μὴ ἁπτόμενον ἀδύνατον. Cf. Zeller, t. III, p. 356.
  2. Phot., Myr. Cod., 212 ; Sextus, P., I, 180.