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ÆNÉSIDÈME. — SON SCEPTICISME.

Si l’on trouve une sorte de contradiction entre cette négation absolue et l’affirmation suivant laquelle l’ataraxie est le bien que peut seul assurer le scepticisme, cette difficulté est la même que nous avons déjà rencontrée à propos de Pyrrhon et de Timon. Elle doit être résolue de la même manière. Ce n’est pas dogmatiquement, ou pour des raisons théoriques qu’Ænésidème recommande l’ataraxie, c’est à un point de vue purement pratique, et en s’interdisant toute affirmation sur les principes ou l’essence des choses.

Il y a pourtant encore une difficulté. Un passage d’Aristoclès[1] distinguant Ænésidème et Timon, déclare que la conséquence du doute, d’après Ænésidème, est non seulement l’ataraxie, mais le plaisir. S’il n’y a pas ici une simple erreur, il faut entendre le mot ἡδονή dans un sens très large, celui par exemple que lui donnait Épicure, qui lui aussi comptait l’ataraxie pour un plaisir[2]. C’est aussi dans le même sens que Pyrrhon parlait du bonheur (τὸν μέλλοντα εὐδαιμονήσειν) comme but de la vie[3]. En tout cas, ce passage isolé ne saurait prévaloir contre le résumé si net que nous a conservé Photius. Ænésidème n’affirmait rien en morale. S’il lui est arrivé de dogmatiser, et s’il y a quelque contradiction dans son œuvre, ce n’est pas là qu’il faut la chercher.

    ὅπερ ἂν τις τῶν κατὰ φιλοσοφίαν αἱρέσεων δοξάσειεν, ἀλλ' ἁλλῶς οὐκ εἶναι τέλος τὸ πᾶσιν ὑμνούμενον.

  1. Op. cit. : Τοῖς μέντοι διακειμένοις οὕτω περιέσεσθαι Τίμων φησὶ πρῶτον μὲν ἀφασίαν, ἔπειτα δὲ ἀταραξίαν, Αἰνησίδημος δὲ ἡδονήν.
  2. Diog., X, 136 : Ἡ μὲν γὰρ ἀταραξία καὶ ἀπονία καταστηματικαί εἰσιν ἡδοναί.
  3. Il est possible qu’il y ait là, comme le suppose ingénieusement Hirzel (p. 109), la trace d’une tentative pour concilier le cyrénaïsme et le pyrrhonisme. Mais nous avons trop peu de raisons de croire à des tendances éclectiques chez Ænésidème pour qu’on puisse attribuer une grande valeur à cette conjecture. Natorp (p. 300) récuse simplement le texte d’Aristoclès.