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LIVRE III. — CHAPITRE IV.

est autre chose que le tout, et elle est la même chose. Car l’essence est à la fois le tout et la partie ; elle est le tout, si on considère le monde, la partie, si on s’attache à la nature de tel ou tel animal. La particule (μόριον) à son tour s’entend en deux sens : tantôt elle diffère de ce qu’on appelle proprement la partie (μέρος), comme quand on dit qu’elle est une partie de la partie : ainsi le doigt est une partie de la main, l’oreille est une partie de la tête ; tantôt elle n’en diffère pas, mais elle est une partie du tout : ainsi on dit souvent que le tout est formé de particules. »

Il a aussi une théorie sur le mouvement. Tandis qu’Aristote distinguait six espèces de mouvements, Ænésidème les ramène toutes à deux. « Les partisans d’Ænésidème, dit Sextus[1], ne laissent subsister que deux sortes de mouvement, le mouvement de transformation (μεταβλητική), et le mouvement local (μεταβατική)[2]. Le premier est celui par lequel un corps, en gardant la même essence, revêt diverses qualités, perdant l’une et gagnant l’autre : c’est ce que l’on voit dans le changement du vin en vinaigre, de l’amertume du raisin en douceur, du caméléon, qui prend tour à tour diverses couleurs, et du polype. Ainsi la génération et la corruption, l’augmentation et la diminution doivent être appelées des transformations particulières, que l’on comprend sous le nom de mouvements de transformation : à moins qu’on ne dise que l’augmentation est un cas du mouvement local, provenant de l’extension du corps en longueur et en largeur. Le mouvement local est celui par lequel

  1. M., X, 38.
  2. Faut-il croire, avec Fabricius, qu’Ænésidème n’a réduit à deux les six espèces de mouvement que pour montrer ensuite plus facilement que ni l’une ni l’autre n’existe ? Comme sceptique, il devait en effet nier la réalité du mouvement ou bien, comme Saisset (p. 211, note) paraît disposé à le faire, faut-il rapporter cette théorie au dogmatisme héraclitéen ? C’est un point qu’on doit laisser indécis, faute de documents. Remarquons seulement qu’en tout cas, cette théorie semble personnelle à Ænésidème ; car Sextus, au lieu de dire ici comme partout ailleurs Αἰνησίδημος κατὰ Ἡράκλειτον, dit seulement Οἱ περὶ τὸν Αἰνησίδημον. Il peut se faire, comme l’indique Zeller (p. 32, 3), qu’Ænésidème ait emprunté cette correction aux stoïciens.