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ÆNÉSIDÈME. — EXAMEN CRITIQUE.

l’autre moins. » — On voit bien ici le sophisme que nous venons de signaler : il suppose que toutes les choses sont vraies, en tant que sensibles ; c'est justement ce que nous avons contesté. Elles sont sensibles et, en outre, sous certaines conditions, vraies.

Voilà le sophisme démasqué, mais à quel prix ? Nous avons reconnu que le vrai n’est pas une chose en soi ; nous nous sommes enfermés dans la sphère du relatif. Nous avons accordé, en outre, qu’en jugeant le vrai sensible ou intelligible, le rapport établi entre le sujet et l’attribut n’est pas une identité absolue : c’est une identité partielle et contingente. En d’autres termes, cette identité n’existe que dans l’esprit : ici encore nous ne sortons pas du relatif. D’ailleurs, on ne peut formuler le principe d’identité, si on veut échapper aux subtilités des sceptiques, qu’en introduisant précisément l’idée d’une relation. « Une chose ne peut, en même temps et sous le même rapport, être et ne pas être. » Bref, nous n’avons résolu la difficulté qu’en considérant les choses dans notre esprit, telles qu’elles apparaissent, et non telles qu’elles sont en soi.

Peut-être Ænésidème n’a-t-il pas voulu dire autre chose. En le réfutant, peut-être lui donnons-nous gain de cause. Pourtant nous croyons n’avoir rien accordé qu’un dogmatisme sérieux ne puisse et ne doive accorder, et nous sommes persuadé que, même en enfermant la pensée dans la sphère du relatif, en la soumettant en toutes ses opérations à la catégorie de la relation, il est possible de définir la vérité sans lui faire perdre le caractère de nécessité et d’universalité sans lequel elle n’est plus. Mais il faut convenir que trop souvent le dogmatisme, comme le sens commun, a des prétentions plus hautes. Il se flatte d’atteindre les réalités en soi, telles qu’elles sont, en dehors de toute relation entre elles ou avec la pensée : c’est contre ce dogmatisme que sont dirigés les arguments d’Ænésidème, et ils sont sans réplique.


II. Les arguments contre les causes donnent lieu a des ob-