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LA PHILOSOPHIE ANTÉSOCRATIQUE.

moyens qu’il emploie et les détours où se complaît sa pensée, Socrate n’a qu’un but[1] : trouver une vérité absolue, universelle, qui s’impose à tout esprit et dont la conscience individuelle ne soit pas la mesure. Sa doctrine a été fort bien nommée la philosophie des concepts, et il l’a nettement définie en disant que la science est la connaissance du général. Quelles que soient ses hésitations et ses réserves, il est des points sur lesquels il n’a jamais varié. Où voit-on qu’il ait douté de la vertu, de la différence du juste et de l’injuste, de l’obligation de faire le bien ? Jamais moraliste n’a montré une conviction plus profonde, une ardeur plus sincère et plus communicative à prêcher la vertu. Si on peut lui reprocher quelque chose, c’est d’avoir eu trop de confiance dans la science, d’avoir cru qu’il suffit de connaître le bien pour le faire, d’avoir identifié la vertu avec la certitude absolue qui s’empare de l’esprit lorsqu’il est parvenu à reconnaître la véritable nature du bien. Et si la pensée de Socrate avait quelque chose de commun avec le scepticisme, comment comprendre que ses plus illustres disciples, Platon et Aristote, s’inspirant de son esprit et continuant son œuvre, soient arrivés à construire les systèmes les plus dogmatiques qui furent jamais ?

Non seulement Socrate a eu foi dans la science, mais il a découvert une méthode excellente. Cet examen qu’il recommande à chacun de faire sur soi-même et qu’il savait si bien pratiquer sur autrui, cette analyse des notions, cette épreuve par l’ironie et la dialectique à laquelle il soumettait ses disciples, était vraiment un procédé scientifique. Ce n’est pas la méthode expérimentale, puisque l’ἔλεγχος ne s’applique pas à des objets extérieurs et conserve toujours un caractère dialectique et subjectif ; mais c’est quelque chose d’analogue et qui procède du même esprit. Grote, qui sait malgré tout lui rendre justice, le compare, sous ce rapport, à Bacon. « l’Élenchos, tel que Socrate

  1. Voir, sur le vrai sens de la philosophie de Socrate, la belle étude de M. Ém. Boutroux, Socrate, fondateur de la science morale (Séances et travaux de l’Acad. des sc. morales et politiques, 1883).