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LIVRE III. — CHAPITRE VI.

seul le sensible est vrai ; les autres que ce privilège n’appartient qu’à l’intelligible ; d’autres enfin, que certaines choses sensibles et certaines choses intelligibles sont vraies. Comment décider entre toutes ces dissidences ?

2o  Si on ne décide rien, il est clair qu’il faudra suspendre son jugement. Si on décide, comment s’y prendra-t-on ? Pour prouver une chose sensible, on aura recours à une autre chose sensible, ou on se servira d’une chose intelligible pour prouver une chose intelligible. Mais ces dernières ont elles-mêmes besoin de confirmation, et il en sera ainsi à l’infini.

3o  Dira-t-on, pour échapper au progrès à l’infini, que le sensible se prouve par l’intelligible ? Mais l’intelligible, comment se prouve-t-il ? Si c’est par l’intelligible, voilà encore le progrès à l’infini ; si c’est par le sensible, qui est lui-même prouvé par l’intelligible, on est enfermé dans un cercle : c’est le diallèle.

4o  Pour sortir du cercle, l’adversaire dira-t-il qu’il prend pour accordés, et sans démonstration, certains principes qui serviront à la démonstration future ? Mais procéder ainsi, c’est faire une hypothèse. D’abord, si celui qui suppose ces principes et les prend pour accordés, est digne de foi, nous, disent les sceptiques, qui supposerons et prendrons pour accordés des principes contraires, nous serons également dignes de foi. D’ailleurs, si ce qu’on suppose est vrai, on le rend suspect par cela même qu’on le suppose. Si c’est faux, on construit sur un fondement ruineux. Enfin, si une supposition suffit à prouver quelque chose, il n’est pas besoin de supposer un principe pour prouver la conséquence ; autant vaut admettre tout de suite la conséquence comme vraie. Et s’il est ridicule de supposer vrai ce qui est en question, il ne l’est pas moins de supposer vraie une autre proposition, plus générale, qui le contient.

5o  Enfin tout est relatif[1]. Le sensible est relatif à l’être qui

  1. Diogène (89) interprète ce trope autrement. Il s’agit pour lui non de la relativité des choses par rapport à l’esprit, mais de leur relativité les unes à l’égard des autres. La conclusion d’ailleurs est la même.