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LIVRE III. — CHAPITRE VI.

près, il est aisé de voir qu’ils ne sont pas, comme Sextus semble le dire, une simple variante de ceux d’Ænésidème.

De l’ancienne liste, deux seulement sont conservés, celui du désaccord et celui de la relativité. À vrai dire, on peut considérer les huit autres comme compris et résumés sous le nom de relativité : ils n’expriment en effet que les différentes relations des choses particulières avec l’esprit. Tout ce qu’il y a d’essentiel dans l’ancienne liste se retrouve donc dans la nouvelle. Mais les trois autres présentent un caractère tout différent : ils portent uniquement sur la forme de la connaissance, tandis que les précédents sont plutôt relatifs à la matière. Nous dirions en langage moderne que les deux anciens sont suggérés par la théorie de la connaissance, les autres, par la logique ou la dialectique ; ils correspondent aux conditions de toute démonstration.

En outre, les dix tropes, sauf le dernier, portaient tous, on l’a vu, sur la connaissance sensible. Ceux-ci, au contraire, attaquent à la fois les sens et l’intelligence ; Sextus a soin de le faire remarquer, et consacre à chacun de ces deux points une démonstration particulière.


III. Les dix tropes d’Ænésidème tendaient à prouver que la certitude n’existe pas en fait : les cinq tropes d’Agrippa veulent établir qu’il ne saurait logiquement y avoir de certitude[1]. Par là, on peut mesurer la supériorité des derniers sur les premiers.

  1. Hirzel (op. cit., p. 131) remarque très judicieusement que, à partir d’Agrippa, le scepticisme diffère en un point important de ce qu’avaient enseigné les premiers pyrrhoniens. Suivant leur point de vue en effet, la recherche (ζήτησις) n’a pas encore réussi, mais elle peut réussir : la question reste ouverte. Les tropes d’Agrippa la condamnent absolument et sans réserves. Nous sommes ici bien plus voisins du point de vue des académiciens que de celui du pyrrhonisme, et l’influence de la nouvelle Académie sur le nouveau scepticisme se manifeste fort clairement. Il faut ajouter pourtant que Sextus prétend rester fidèle à l’idée primitive : il garde le nom de ζητητικός (P., I, 2). Comment il conciliait cette prétention avec l’approbation qu’il donne aux tropes d’Agrippa, c’est ce qu’il n’est pas facile de comprendre. On peut remarquer toutefois que ce nom de ζητητικὴ ἀγωγὴ n’apparaît qu’une fois dans toute son œuvre (P., I, 7).