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Page:Victor Brochard - Les Sceptiques grecs.djvu/315

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LES SUCCESSEURS D’ÆNÉSIDÈME. — AGRIPPA.

En outre, ce n’est plus la connaissance sensible, l’opinion commune qu’ils mettent en suspicion ; c’est la science même ou le raisonnement.

On peut dire aussi qu’en un sens, les tropes d’Agrippa l’emportent même sur les arguments d’Ænésidème, relatifs aux causes et aux signes. Si générales que soient les conceptions critiquées par Ænésidème, elles ont encore un contenu déterminé ; les arguments d’Agrippa atteignent, non seulement telle ou telle proposition, mais toute proposition quelle qu’elle soit ; non seulement certaines vérités, mais toute vérité, envisagée dans les conditions les plus immédiates et les plus essentielles de la connaissance. Si on veut mesurer le chemin parcouru d’Ænésidème à Agrippa, il suffit de comparer les arguments des deux philosophes sur la vérité. Ænésidème discute la question en dialecticien et en métaphysicien. Agrippa en logicien. C’est le concept de la vérité, pris en lui-même, qu’il trouve en défaut : ce n’est pas comme son prédécesseur, en le rapprochant d’autres concepts, et en cherchant si le vrai est sensible ou intelligible, qu’il parvient à en récuser la valeur. Même les huit tropes contre l’étiologie présentent un autre caractère que ceux d’Agrippa. Ils sont dirigés contre une manière déterminée de raisonner, contre l’application de l’idée de causalité[1] : les tropes d’Agrippa s’attaquent à tout raisonnement quel qu’il soit.

C’est bien à Agrippa qu’il faut faire honneur de la découverte de ces tropes. Sans doute, les diverses manières de raisonner qu’il a réunies avaient déjà été employées avant lui : cela est incontestable pour le trope du désaccord, pour celui de la relation : peut-être Timon avait-il déjà invoqué l’argument de l’hypothèse. Et il serait invraisemblable qu’il en fût autrement. Mais

  1. Nous ne pouvons souscrire à l’opinion de Hirzel (p. 130) qui considère les cinq tropes comme destinés à remplacer les huit tropes d’Ænésidème contre les causes. Le passage de Sextus (P., I, 185) signifie que les cinq tropes peuvent remplacer les huit, ce qui va de soi : ils peuvent même, en raison de leur caractère général et formel, remplacer tous les autres. Mais les huit tropes ne sauraient rem-