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LIVRE IV. — CHAPITRE II.

démonstration avait pour prémisse un συνημμένον de ce genre : c’est la majeure de presque tous les syllogismes et sorites, le nerf de toutes les preuves. À l’existence des signes indicatifs est donc liée toute la théorie de la démonstration. Les sceptiques, après avoir refusé à l’esprit humain la connaissance directe de la vérité, devaient essayer de lui arracher encore cette dernière arme : ils n’y ont pas manqué.

Tout d’abord, le signe ne saurait exister absolument et par lui-même : il est une relation. Une chose n’est un signe que si on la met en rapport avec ce dont elle est le signe. Par suite, le signe et la chose signifiée doivent être pensés en même temps ; de même qu’on ne peut penser à la droite qu’en l’opposant à la gauche. Mais si, en connaissant le signe, on connaît la chose signifiée, à quoi sert le signe ? Il ne nous apprend rien que nous

    conformément à l’ancienne terminologie stoïcienne, l’appelle simplement le signe. C’est ce qui résout une difficulté qui a embarrassé Natorp (p. 163). Si on lit attentivement les deux passages de Sextus (P., II, 104, et M., VIII, 245), on voit clairement que dans l’un et dans l’autre, c’est bien du signe indicatif qu’il s’agit. Un peu avant le premier de ces passages, l’expression par laquelle Sextus annonce le développement qui va suivre : οὐκ ἀνύπαρκτον δεῖξαι τὸ ἐνδεικτικὸν σημεῖον πάντως ἐσπουδακόντες, indique bien que c’est du signe indicatif qu’il veut parler. Et que le second passage traite aussi la même question, c’est ce qu’atteste tout le développement dont il fait partie, et le passage (274) où l’auteur oppose le signe, soit sensible, soit intelligible, mais toujours indicatif, au signe commémoratif : ὁποῖόν ποτ’ ἂν ᾖ τὸ σημεῖον, ἤτοι αὐτὸ φύσιν ἔχει πρὸς τὸ ἐνδείκνυσθαι… οὐχὶ δὲ ἐκεῖνο φύσιν ἔχει ἐνδεικτικὴν τῶν ἀδήλων… Il est vrai que parmi ses exemples, Sextus indique un signe manifestement commémoratif : εἰ γάλα ἔχει ἥδε… Mais cela prouve simplement que la question ne se posait pas pour les stoïciens comme pour Sextus, que la distinction entre les deux sortes de signes n’était pas encore faite. Le grand point pour les stoïciens, est qu’entre le signe et la chose signifiée il y ait un lien nécessaire (ἀκολουθία, συνάρτησις). En ce sens, leur définition peut s’appliquer à certains signes commémoratifs : mais même alors ils l’entendent tout autrement que les sceptiques. L’exemple εἰ γάλα ἔχει ἥδε pas un signe pour eux au sens où les sceptiques l’entendent (c’est-à-dire comme fondé sur une association d’idées empirique) ; et il n’est pas un signe valable pour les sceptiques, au sens où l’entendent les stoïciens (c’est-à-dire comme exprimant un lien nécessaire entre deux choses). Il n’y a pour les stoïciens, comme le prouve clairement le texte M., VIII, 245, qu’un seul signe digne de ce nom : c’est le signe indicatif, celui qui prouve ἐκ τῆς ἰδίας φύσεως καὶ κατασκευῆς (P., II, 102). On voit dès lors qu’il n’y a aucune raison pour supposer, comme le fait Natorp un peu hâtivement, que le passage P., II, 101 est interpolé.