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LIVRE IV. — CHAPITRE II.

καθόλου)[1] ; mais si on ne considère que quelques cas, l’induction n’est pas solide ; si on prétend les considérer tous, on tente l’impossible, car les cas particuliers sont en nombre infini.

Il faut en dire autant des définitions, auxquelles les dogmatistes attachent tant d’importance. On ne peut définir ce qu’on ne connaît pas : et si on le connaît, à quoi bon le définir ? Et à vouloir tout définir on tombe dans le progrès à l’infini[2].

Il n’y a donc ni signe, ni démonstration. Mais, arrivé au terme de cette longue argumentation, le sceptique n’est-il pas pris en flagrant délit de contradiction, et les dogmatistes ne vont-ils pas retourner contre lui ses propres armes ? Ou vos paroles, diront-ils, ne signifient rien : et alors à quoi bon tant de discours ? Ou elles ont une valeur ; elles sont des signes et des preuves, et alors que devient votre thèse ? De même, ou il n’y a pas de démonstration, et alors vous n’avez pas prouvé qu’il n’y en a pas ; ou vous l’avez prouvé, et alors il n’est pas vrai qu’il n’y ait pas de démonstration.

Mais le sceptique a réponse à tout. Je n’ai pas nié, dit-il, l’existence des signes commémoratifs, mais seulement celle des signes indicatifs. C’est dans le premier sens qu’il faut prendre nos paroles : elles n’apprennent rien ou ne signifient rien, mais servent seulement à rappeler à la mémoire les arguments invoqués contre les signes.

Quant à la démonstration, j’accorde que je n’ai rien prouvé. Il est seulement probable qu’il n’y a pas de démonstration : voilà ce qui me paraît en ce moment ; je n’affirme pas qu’il en sera toujours de même : l’inconstance de l’homme est si grande !

Objecterait-on que le sceptique n’est pas persuadé de la valeur de ses arguments, qu’il n’est pas de bonne foi ? Qu’en sait-on ? La persuasion ne se commande pas : on ne peut pas plus prouver à un homme qu’il n’est pas persuadé qu’on ne peut prouver à un homme triste qu’il ne l’est pas.

N’oublions pas d’ailleurs que le sceptique n’affirme rien. Ce

  1. P., II, 204.
  2. P., II, 207.