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LIVRE IV. — CHAPITRE II.

pas se mettre en opposition avec les croyances communes. Le sceptique ne veut pas se laisser confondre avec les athées, et il s’enferme strictement dans son rôle d’avocat, qui plaide alternativement le pour et le contre, sans conclure. Au reste, la thèse négative n’y perd rien, et elle est exposée à son tour avec les mêmes égards.

Les trois preuves stoïciennes de l’existence de Dieu, tirées, l’une du consentement universel, l’autre de l’ordre du monde, la troisième des inconséquences où tombent les athées, sont présentées et discutées tour à tour. Dans cette critique, Sextus se borne à reproduire les arguments de Carnéade, que nous avons résumés ci-dessus : il est inutile d’y revenir ici.

Nous n’indiquerons pas tous les arguments invoqués par les sceptiques contre l’idée de cause, la clef de voûte de toute explication physique de l’univers. Vraisemblablement, chacun des sceptiques qui se sont succédé a tenu à honneur d’inventer une difficulté nouvelle, et de lancer sa flèche contre l’idole.

Trois cas peuvent être examinés : ou l’on parle de l’agent (cause active), ou de l’agent uni au patient (principe passif ou matière), ou du patient seulement.

Pour la cause active[1], sans parler des arguments d’Ænésidème, exposés plus haut, il est clair qu’elle appartient, comme le signe et la démonstration, à la catégorie des choses relatives : une cause ne peut être appelée de ce nom que si on a égard à son effet, et de même l’effet est inintelligible sans la cause ; il est donc impossible de comprendre ce qu’est une cause en elle-même. Et pour la même raison, on ne peut dire ni que la cause précède l’effet, puisque avant l’effet, elle n’est pas encore cause : ni qu’elle l’accompagne, puisque l’un et l’autre étant donnés ensemble, on ne peut distinguer lequel est la cause, lequel est l’effet ; ni qu’elle le suit, car ce serait trop absurde.

En outre, s’il y a des causes, ce qui est en repos n’est pas la cause de ce qui est en repos, ni ce qui est en mouvement de ce

  1. M. IX, 207. Cf. P., III, 21. Rappelons que cette argumentation est attribuée, à tort croyons-nous, à Ænésidème, par Saisset. Voyez ci-dessous, p. 249.