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LE SCEPTICISME. — PARTIE DESTRUCTIVE.

qui est en mouvement ; car dans les deux cas, la prétendue cause et le prétendu effet sont indiscernables. Voici une roue en mouvement ; celui qui la tourne est aussi en mouvement : et de quel droit dire que le mouvement de la roue est l’effet plutôt que la cause du mouvement de celui qui la tourne ? Mais d’autre part, ce qui est en repos ne peut pas plus être la cause du mouvement, que le froid ne peut réchauffer, ou le chaud refroidir ; et de même ce qui est en mouvement, n’ayant pas en soi le principe du repos, ne peut produire le repos. Comme il n’y a pas de cinquième hypothèse, il faut dire qu’il n’y a pas de cause.

Dira-t-on que la cause active n’agit pas seule, mais de concert avec le principe passif ou la matière ? On verra bien d’autres absurdités. D’abord ou aura deux noms, ceux d’agent et de patient, pour une même chose : le patient sera aussi actif que l’agent, et l’agent aussi passif que le patient. Le feu ne sera pas plus la cause de la combustion que le bois qu’il consume.

De plus, pour agir et pâtir, il faut toucher et être touché. Mais l’agent tout entier ne peut toucher le patient tout entier ; car ce ne serait plus un contact, mais une union. Une partie de l’un touchera-t-elle une partie de l’autre ? Non, car si elle touchait cette partie tout entière, elle se confondrait avec elle ; et si elle n’en touchait qu’une partie, la même difficulté se reproduirait, et ainsi à l’infini. Il est de même impossible que le tout soit en contact avec la partie, ou la partie avec le tout ; car le tout devenu coextensible à la partie lui serait égal, ou inversement. Il ne reste pas d’autre hypothèse.

Quant à la cause passive, si elle est, en tant qu’elle a une nature propre, elle ne peut être passive ; car elle est déterminée en elle-même autrement que par le fait d’être passive. Elle le peut encore moins si elle n’a pas de nature propre. Par exemple, Socrate ne meurt pas tandis qu’il vit ; et il ne meurt pas non plus quand il n’est plus. Une chose qui s’amollit n’est pas passive tant qu’elle reste dure ; et quand elle a cessé de l’être, elle n’a plus rien à subir.