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L’EMPIRISME. — PARTIE CONSTRUCTIVE.

ce que répond le sceptique à la question obstinée de ses adversaires. Séduit un moment par les promesses des dogmatistes qui faisaient briller à ses yeux l’espoir d une explication de toutes choses, d’une science qui, en satisfaisant son esprit, lui permettrait d’agir en pleine connaissance de cause, il a pu les écouter et les suivre. Réflexion faite, il s’aperçoit que ces promesses sont trompeuses, ces espérances fallacieuses ; il y renonce et revient à son point de départ. Après cette aventure spéculative, il reprend, désillusionné, sa place dans la foule, il redevient homme du commun comme devant ; la seule différence entre lui et l’homme du peuple, c’est que celui-ci ne se demande pas s’il y a une explication des choses, tandis que le sceptique croit qu’il n’y en a pas ou qu’elle est inaccessible, au moins pour le moment. C’est un retour fort peu naïf à la naïveté primitive.

Être sceptique, dit-on souvent, c’est douter de tout. Cette formule n’est pas tout à fait exacte. Le vrai sceptique ne doute pas des phénomènes, des sensations qui s’imposent à lui avec nécessité ; il distingue ses états subjectifs de la réalité située hors de lui. Quand il parle des suggestions de la nature, de ses dispositions passives, des lois et coutumes de son pays, ce sont de simples faits, sentis ou éprouvés par lui, qu’il a en vue ; il ne les juge pas, il n’affirme rien au delà des phénomènes.

Il y a bien là une sorte de croyance ou de persuasion (πεῖσις)[1]. Mais cette persuasion involontaire et passive (ἐν ἀβουλήτῳ πάθει κειμένη), il la distingue de l’adhésion réfléchie et voulue que d’autres accordent aux prétendues vérités de l’ordre scientifique. C’est ne rien croire que de ne croire qu’aux phénomènes.

Le sceptique ne s’en tient pas là. Il recommande l’action, l’exercice de certains arts. C’est ici que nous voyons apparaître l’idée nouvelle des sceptiques de la dernière période.

Il y a quelque embarras dans les discours de Sextus à ce sujet. Tantôt ce n’est pas seulement la science, mais l’art même

  1. P., I, 22.