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Page:Victor Brochard - Les Sceptiques grecs.djvu/384

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LIVRE IV. — CHAPITRE III.

dote regardait l’épilogisme comme un excellent moyen de réfuter les sophismes.

Nous sommes donc en droit d’affirmer que toute la théorie de la méthode est le bien commun[1] des empiriques et des sceptiques et que les livres de Sextus que nous avons ne nous montrent qu’une face de l’empirisme sceptique. À côté de la science qu’ils nient, il y a une sorte de science, ou d’art, en laquelle les sceptiques ont confiance. Une exposition complète de leur doctrine doit donc renfermer, outre la partie destructive que nous avons résumée, une partie constructive[2], sur laquelle nous n’avons malheureusement que des indications incomplètes.

Ces deux parties peuvent-elles se concilier l’une avec l’autre ? N’y a-t-il pas contradiction à combattre le dogmatisme, comme le fait Sextus, pour admettre ensuite une science ou un art, même empirique ? Nous le croyons, pour notre part. Cet art empirique, que Sextus oppose à la science théorique, au fond et sans s’en rendre un compte exact, il l’entend autrement qu’il ne le définit et qu’il ne le faudrait pour que sa distinction fût tout à fait légitime. À une seule condition, en effet, cette distinction pourra être maintenue : c’est que, dans l’art empirique, les assertions qu’on se permet, la persuasion où l’on est, s’appliquent uniquement à des phénomènes et ne les dépassent en aucune façon. En est-il ainsi chez Sextus ? Il ne le semble pas.

  1. Natorp (p. 146, 2) nous paraît se tromper lorsqu’il fait une différence entre la τηρητικὴ ἀκολουθία des sceptiques et l’expression analogue, à propos des empiriques, qu’on trouve chez Galien, X, 126. La signification des deux expressions est visiblement la même. Cf. Sextus, M. VIII, 288. Il ne paraît pas non plus qu’on puisse tirer aucune conclusion de l’absence, dans les rares documents empiriques que nous avons, des expressions ἀνανέωσις et ἀνανεοῦσθαι, Natorp reconnaît d’ailleurs la conformité de la doctrine de Sextus à celle des empiriques.
  2. Nous avons été heureux de trouver dans le livre de Natorp (p. 157, et passim) des vues analogues. Natorp admet comme nous et démontre avec beaucoup de force qu’il y a, dans le scepticisme, une partie positive, une tendance scientifique. Il soutient seulement que cette tendance se manifeste dès le début du pyrrhonisme : il la trouve chez Ænésidème, chez Timon (p. 158), même chez Protagoras. Nous croyons qu’elle ne s’est montrée que plus tard. En tout cas, à partir de Ménodote, elle est incontestable.