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LIVRE IV. — CHAPITRE IV.

les deux écoles que dans l’esprit qui les anime, dans leurs tendances, dans leurs méthodes.


II. Parmi les modernes, plusieurs historiens ne les regardent pas comme fort éloignées l’une de l’autre. Bayle les confond à peu près : Zeller n’est pas loin d’en faire autant[1]. Cependant l’historien anglais Maccoll[2] se prononce dans un sens tout différent : et les raisons qu’il invoque valent la peine d’être examinées.

Suivant Maccoll, les deux sectes diffèrent par leur origine, par leur objet, par leur méthode. Le pyrrhonisme paraît à une époque où la Grèce, épuisée par le grand effort de la conquête de l’Asie, retombe épuisée. L’esprit grec décline en même temps que les libertés des cités grecques leur sont enlevées : c’est une époque de misologie, et la philosophie de Pyrrhon est une philosophie de désespoir. Tout autres sont les circonstances où apparaît la nouvelle Académie, cinquante ans plus tard, intervalle considérable chez un peuple tel que les Grecs. La puissance matérielle d’Athènes est détruite : sa force intellectuelle n’a jamais été plus grande. Elle est le rendez-vous de tous les philosophes du monde : Zénon est Phénicien ; Hérillus vient de Carthage. C’est alors qu’on voit naître et prospérer toute une floraison de systèmes dont la force et le succès attestent la vitalité du génie grec. Le stoïcisme et l’épicurisme s’élancent à la poursuite de la vérité, et ne doutent pas qu’on puisse l’atteindre. C’est cette ardeur même et cette confiance illimitée qui leur suscitent des rivaux : Arcésilas, sans grande conviction peut-être, prend plaisir à contredire Zénon. Le pyrrhonisme était né à une époque de dépression et d’affaiblissement : la nouvelle Académie naît d’un surcroit d’activité, d’une sorte d’exubérance de la pensée grecque. Telle est la puissance du mouvement, que Carnéade lui-même ne se contente pas de nier et de détruire. À cette époque de renouveau, il faut quand même des croyances :

  1. Die Philosophie der Griechen, t. V, p. 15, 3e Aufl.
  2. The Greek Sceptics, London and Cambridge, 1869, Macmillan, p. 90, 199.