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CONCLUSION.

s’il était capable de trouver le bon chemin ? C’est d’abord changer de thèse, car, puisqu’on raisonne, ce n’est pas de vraisemblance qu’il s’agit. Mais surtout, que ce soit vraisemblable ou non, il est possible qu’après de longues recherches, l’esprit humain n’ait pas rencontré la vraie méthode ; il est possible qu’il la rencontre plus tard. S’il y avait encore, de nos jours, des sceptiques, l’avènement de la méthode expérimentale et les progrès des sciences leur fermeraient définitivement la bouche. Il est trop clair qu’un long égarement ne prouve rien contre la possibilité de trouver le chemin : le désaccord passé ou présent ne prouve rien contre l’accord possible dans l’avenir ; et, en fait, nous voyons que cet accord se réalise peu à dans les peu sciences. Enfin, une analyse psychologique très simple nous montre que les croyances des hommes, même les plus savants et les plus grands, dépendent, pour une notable part, de leurs sentiments et de leurs passions. Dès lors, comment imputer à l’infirmité de leur intelligence ce qui peut être le fait de leurs passions, essentiellement passagères et changeantes ?

Pris en lui-même, l’argument : Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà, est donc sans valeur. Il séduit bien des gens par sa simplicité et par les développements interminables qu’il comporte au fond, il n’est bon qu’à amuser les badauds. Convenons toutefois que la réfutation que nous venons d’esquisser implique l’abandon de la thèse de l’intuition directe. Il deviendrait fort difficile d’expliquer les contradictions humaines, si on se représentait l’esprit humain comme un miroir qui reflète les choses. Les sceptiques étaient donc après tout dans leur droit en invoquant cet argument contre les partisans de l’intuition.

C’est surtout par les neuf autres tropes qu’ils ont montré le caractère relatif de la connaissance sensible. Ici, il est impossible de contester qu’ils aient raison. Depuis Parménide et Démocrite jusqu’à Descartes et Kant, c’est un lieu commun, parmi les philosophes, que les sens ne nous font pas connaître la réalité telle qu’elle est. Il y a bien peu de personnes aujourd’hui qui ne considèrent les sensations comme des signes correspondant, il