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SOCRATE ET LES SOCRATIQUES.

avec beaucoup de peine[1] ? Si c’est là du scepticisme, tous les philosophes sont sceptiques. Mais il n’en fallait pas davantage à des hommes passionnés, qui cherchaient partout des autorités et voulaient des ancêtres à tout prix. Ils abusaient du droit qu’ils s’attribuaient de se contenter en toutes choses des apparences.

Toutefois une si faible raison et un si misérable prétexte[2] ne suffisent pas à nous faire comprendre que la nouvelle académie ait pu se donner pour l’héritière légitime de Platon ; il faut qu’il y ait entre elle et lui un lien réel de parenté. C’est d’ailleurs une parenté fort illégitime.

Dans une intention toute dogmatique, afin d’exercer l’esprit, de l’habituer à se mouvoir avec aisance dans la région abstraite des idées, Platon avait recommandé ces discussions dialectiques qui, d’une idée donnée, ou, comme il disait, d’une hypothèse, déduisent toutes les conséquences, positives ou négatives, qui y sont contenues, cherchent celles qui s’accordent avec elle ou la contredisent, l’examinent en un mot sous toutes ses faces ; nous avons un exemple remarquable de cette méthode dans le Parménide[3]. De là l’habitude qui s’était perpétuée dans l’école d’examiner sur chaque sujet toutes les alternatives possibles, et de peser tour à tour le pour et le contre. Avec le temps, on oublia le but, pour ne conserver que le moyen ; l’esprit passa, et la lettre resta. Des intelligences moins élevées que celle de Platon purent croire de bonne foi qu’elles appliquaient sa méthode, alors qu’elles n’en avaient conservé que la forme extérieure et le procédé technique, et qu’à vrai dire, elles faisaient tout le contraire. C’est une décadence progressive, analogue à celle que Platon lui-même a si finement décrite, lorsqu’il montre, dans le 8e livre de la République, comment de la forme la plus parfaite

  1. Rép., VI, 506, E ; VII, 517, B ; Phæd., 248, A.
  2. Ce serait abuser des mots que de prétendre trouver chez Platon quelque chose de la manière des sceptiques, parce qu’il a dit (Rép., V, 479, C) : οὔτ’ εἶναι οὔτε μὴ εἶναι οὔτε ἀμφότερα οὔτε οὐδέτερον
  3. 135, C. Cf. Phæd., 101, D ; Meno, 86, K.