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CONCLUSION.

pensée seront également satisfaites. C’est par l’observation, l’hypothèse, l’expérimentation, qu’on peut déterminer la cause réelle. Comme instrument de connaissance, le principe de la causalité est sans utilité et il est souvent dangereux. Il nous arrive souvent de l’appliquer à tort et à travers, comme dans le sophisme si fréquent : Post hoc, ergo propter hoc. Le grand défaut de la théorie de Kant, c’est qu’elle se prête mal à l’explication des erreurs. Réduit à lui-même, le principe de causalité n’a jamais permis de distinguer une vérité d’une erreur. C’est un pavillon qui couvre trop souvent de la contrebande de science.

C’est nous-mêmes, comme l’a fort bien montré Hume, qui introduisons la nécessité dans les connexions empiriques, qui seules nous sont données. Tantôt à la suite d’une observation unique et sommaire, mais alors nous avons mille chances de nous tromper ; tantôt, au contraire, à la suite d’observations minutieuses, d’épreuves et de contre-épreuves, nous déclarons qu’une succession de faits est permanente et universelle ; nous érigeons le fait en loi, nous lui conférons la dignité d’un principe, nous le revêtons de la species æternitatis. Je ne dis pas que nous ayons tort de le faire, mais c’est à nos risques et périls que nous hasardons ce coup d’autorité. Aucune nécessité ne nous y contraint, du moins aucune nécessité logique ; car, pour la nécessité pratique, c’est autre chose. Il importe peu, d’ailleurs, pour la question qui nous occupe, que l’idée de cette connexion nécessaire nous ait été suggérée, comme le veut Hume, par l’habitude et l’association des idées, ou qu’elle soit, suivant la théorie de Kant, une loi a priori de l’esprit. Toujours est-il que l’application de cette forme à une matière renferme quelque chose d’hypothétique et nous fait courir quelque risque. La loi de causalité, sinon dans sa formule abstraite, au moins dans ses applications, ne peut atteindre que la probabilité, comme le disait Hume : elle justifie la croyance, non la certitude. Les sceptiques l’avaient bien dit.

Il resterait à examiner si le principe de causalité, manifestement impuissant comme instrument de connaissance, n’est