Page:Victor Brochard - Les Sceptiques grecs.djvu/415

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
405
CONCLUSION.

pas indispensable comme garantie de la science. Supposez un instant qu’il ne soit pas fondamentalement certain, et rien ne nous assure que les phénomènes seront demain ce qu’ils sont aujourd’hui : l’édifice de la science s’écroule comme les pierres d’un mur sans ciment. Imaginez qu’il ne soit pas la loi intime et essentielle des choses et de la pensée : comment comprendre que les mêmes successions de phénomènes se reproduisent invariablement et qu’il y ait de véritables lois ? L’existence des lois est un fait qui doit être expliqué. Si c’est l’expérience qui découvre les lois et fait en quelque sorte le gros œuvre de la science, le principe de causalité, pourrait-on dire, l’achève et lui donne la consécration suprême. C’est peut-être un tort de faire honneur de l’œuvre entière à cet ouvrier de la dernière heure ; mais, sans lui, elle ne serait pas complète.

À vrai dire, nous ne croyons pas que ce soit parler correctement que d’appeler le principe de causalité la garantie de la science. Est-ce le principe qui garantit la science, ou la science qui garantit le principe ? Nous inclinons, pour notre part, vers cette dernière opinion. À parler strictement, on n’a le droit d’affirmer le principe que dans la mesure ou l’expérience le confirme : il y a quelque témérité à l’étendre au delà et à lui donner une portée absolue. Mais, en tout cas, il reste vrai que croire à la science, c’est croire à une loi permanente des choses, à un ordre invariable, en d’autres termes, au principe de causalité. La certitude de la science et la loi de causalité ne sont pas deux choses dont l’une dérive de l’autre : c’est la même chose sous deux noms. C’est précisément ainsi que Kant pose le problème. La certitude de la science étant admise et élevée au-dessus de toute contestation, il se demande comment elle est possible, et l’analyse des opérations qu’elle suppose l’amène à la découverte des lois primordiales de la pensée, qui sont en réalité celles des choses, des seules choses que nous puissions connaître. Par là, la métaphysique redevient possible ; mais, au lieu de se trouver à l’origine des sciences, elle se trouve à la fin. Du moins, si les premiers principes sont pour quelque chose dans la science.