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CONCLUSION.

c’est à la manière dont les racines d’un arbre travaillent à en nourrir le feuillage et les branches : on ne voit bien leur rôle que quand leur tâche est accomplie. L’esprit humain fait d’abord la science, sans se préoccuper de savoir comment il la fait : c’est à son œuvre que se connaît ce merveilleux artisan.

Cette fois, nous avons bien décidément échappé au scepticisme : c’est par une manœuvre des plus hardies, par une interversion des rôles des plus singulières. Au lieu de s’attarder à chercher, ainsi qu’il semble naturel, sur quels principes doit reposer la science, l’esprit humain court au plus pressé : il montrera ses titres plus tard, quand il les aura conquis ; il fait la science et, son œuvre achevée, ou tout au moins suffisamment avancée, il revient sur ses pas et réfléchit sur ses actes. Au lieu de se demander comment la science est possible avant de l’avoir faite, il se pose cette question après qu’elle est faite. Il prouve la vérité en la trouvant. Il passe outre aux objections des sceptiques et, la certitude obtenue, devenue universelle, irréfragable, il montre triomphalement son œuvre et s’en sert, comme d'un degré, pour monter plus haut.

Toutefois, à quelle condition cette victoire a-t-elle été obtenue ? À condition de renoncer à spéculer sur les choses en soi et de s’en tenir à l’étude des phénomènes et de leur succession. C'est précisément ce que recommandaient les sceptiques. Ils ont eu le mérite de comprendre ce que devait être la véritable méthode : leur tort a été de ne pas savoir ou de ne pas pouvoir l’appliquer assez longtemps. On l’a vu plus haut : ils auraient cessé d’être sceptiques, s’ils avaient poussé plus avant dans la voie où ils étaient entrés. Ils succombent donc avec honneur, et il reste vrai que, contre le dogmatisme tel qu’on l’entendait de leur temps, tel que l’entend peut-être encore plus d’un philosophe, ils avaient raison.


Il nous reste à examiner la troisième argumentation des sceptiques, celle qui déclare impossible toute certitude, inaccessible toute vérité, de quelque manière qu’on entende la certitude et