Page:Victor Brochard - Les Sceptiques grecs.djvu/431

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
421
CONCLUSION.

savons bien, nous constatons que certains phénomènes s’accompagnent toujours ; nous ne savons pas, nous ne comprenons pas pourquoi il en est ainsi. Il nous arrive bien de ramener une loi particulière à une loi générale, c’est-à-dire de reconnaître une relation d’identité, et notre esprit obtient alors le genre de satisfaction que lui donne la découverte des vérités mathématiques ; mais la loi générale elle-même n’est pas expliquée : elle est toujours une proposition synthétique dont les termes ne sauraient logiquement se ramener l’un à l’autre. Pour les savants d’autrefois, la science véritable était uniquement la découverte de vérités nécessaires a priori. La connaissance mathématique a une telle sûreté et une telle clarté, elle est relativement si facile, elle donne à l’esprit une telle conscience de sa force et le satisfait si pleinement, que tout naturellement elle a été prise pour la science par excellence. Les autres sciences, la métaphysique, la physique, ont été conçues d’après ce principe unique. Descartes et Malebranche veulent encore déduire la physique a priori, et on sait quel dédain Spinoza professait pour l’expérience. L’observation et l’expérience avaient bien leur place dans la physique de Descartes, mais une place restreinte, un rôle subordonné. Encore aujourd’hui, n’avons-nous pas quelque peine à admettre qu’on puisse séparer ces deux termes : savoir et comprendre ?

Il n’y a pas, d’ailleurs, à revenir sur cette extension du mot science aux connaissances de fait : elle est consacrée par l’usage et pourrait se justifier par de fort bonnes raisons. Bien plus, les rôles sont renversés. La science par excellence était autrefois la science a priori : s’il fallait choisir aujourd’hui entre elle et la science expérimentale, laquelle aurait la préférence ?

Nous ne songeons pas à contester que les sciences de la nature aient une certitude égale à celle des sciences de raisonnement ; mais, si elles sont également certaines, nous avons bien le droit de dire qu’elles le sont autrement, et de cette différence résultent certaines conséquences importantes. L’esprit moderne, pourrait-on dire, n’a pas encore admis toutes les conséquences du triomphe