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CONCLUSION.

traire, nous estimons qu’elle est fort légitime, et même qu’il n’y en a pas d'autre. Mais parler de certitude provisoire, de vérité qui peut changer, c’est assurément faire de ces mots un emploi assez nouveau et, au premier abord, inquiétant.

Il y a plus : cette part de conjecture et d’hypothèse que nous trouvons dans les sciences de la nature les plus solidement établies, nous l’apercevons aussi, sous une forme différente, il est vrai, même dans les sciences mathématiques. Les conséquences qu’on y déduit sont absolument et rigoureusement certaines, pourvu qu’on accorde les axiomes et les définitions qui ont servi de point de départ. Tant qu’on reste dans l’abstrait, aucune difficulté n’est possible. Mais ces sciences, après tout, n’ont d’intérêt et d’utilité que si nous pouvons en appliquer les formules à la réalité. Les mathématiques garderaient-elles toute leur valeur si nous ne pouvions assurer que les choses se conformeront à leurs lois ? Nous pouvons l’assurer, mais seulement si la réalité remplit, soit absolument, soit avec une approximation suffisante, les conditions présupposées par le raisonnement : or il n’appartient pas aux mathématiques de s’assurer que ces conditions sont remplies. C’est donc toujours sous condition, hypothétiquement, que les mathématiques sont vraies, au sens absolu du mot.

Dans un autre ordre de sciences qui sont l’honneur et la gloire de notre siècle, les sciences historiques, il est plus aisé encore de retrouver une part de conjecture et d’hypothèse. Toutes les sciences humaines ont été soumises à la subtile et pénétrante critique des pyrrhoniens et se sont entendu dire par eux de cruelles vérités. Seules, les sciences historiques ont échappé. Ce n’est pas la faute des sceptiques : elles n’étaient pas nées ; mais nous y avons perdu un beau morceau de dialectique. Sans vouloir reprendre ici un jeu que nous ne saurions jouer sérieusement, on peut se faire une idée, fort incomplète, sans doute, mais suffisante, du parti qu’un Ænésidème ou un Sextus aurait su tirer de ce thème. En laissant de côté les faits analogues à ceux qui font l’intérêt de l’Antiquaire, de Walter Scott,