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CONCLUSION.

mais dont nous ne pouvons que nous rapprocher par des étapes successives, dont nous n’avons peut-être pas encore la formule définitive, telle enfin que notre connaissance puisse faire des progrès, que nous devions chercher toujours et nous obstiner à la poursuite du vrai ? Alors le scepticisme est vaincu. Tous ses arguments viennent échouer contre le dogmatisme ainsi entendu. C’est une puérilité de refuser de rien affirmer sous prétexte que nous ne possédons pas actuellement toute la vérité.

Le dogmatisme traditionnel et le scepticisme sont deux extrêmes. Le dogmatisme a placé le but trop haut. Pour pénétrer au cœur des choses, pour les connaître dans leur nature intime, pour les voir, pour ainsi dire, du dedans, il faudrait un esprit plus puissant que le nôtre : il faudrait être Dieu. Même en Dieu, c’est une question de savoir si la raison pure explique le monde par elle-même : elle ne crée que des possibilités ; il faut une volonté pour les faire passer à l’acte. Comment une intelligence bornée pourrait-elle déduire les décrets d’une volonté libre ? On a fait de la certitude quelque chose de surhumain : quoi d’étonnant si l’humanité ne l’a pas atteinte ? Telle qu’on la définit d’ordinaire, elle est un idéal : c’est dire que nous ne l’atteignons pas.

Le scepticisme a bien vu cette impuissance, mais il a désespéré trop vite. Entre Charybde et Scylla, il y a un passage : celui que la science moderne a franchi toutes voiles déployées. Il y a un dogmatisme tempéré et modeste, qui croit à la vérité et s’efforce de s’en rapprocher. Moins orgueilleux, mais non moins confiant que l’ancien, il ne croit jamais son œuvre achevée, il ne se repose jamais : il ne décourage aucune tentative pour trouver de nouvelles vérités ou corriger d’anciennes erreurs ; s’il profite beaucoup du passé, il attend davantage encore de l’avenir ; et, chose que l’ancien dogmatisme ne faisait pas volontiers, il a assez de confiance dans la vérité pour ne pas craindre la discussion, pour laisser remettre en question les solutions en apparence les plus définitives, pour livrer le monde aux disputes de ceux qui l’étudient, et compter sur le triomphe final du vrai.