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TIMON DE PHLIONTE.

(autant qu’on peut parler d’évidence avec des documents si insuffisants) que les Ἰνδαλμοί étaient un vrai traité de morale à tendances assez dogmatiques[1]. Ils renfermaient, si nous nous sommes fait de l’œuvre de Pyrrhon une juste idée, la partie essentielle de l’enseignement sceptique primitif. Les Silles étaient une œuvre de polémique et de destruction : les Images, une œuvre de construction ; on y enseignait le moyen d’être heureux, c’est-à-dire de trouver le bonheur dans l’ataraxie et l’indifférence.

Suivant Hirzel[2] il faudrait entendre par ἰνδαλμοί les images ou plutôt les phénomènes, les représentations sur lesquelles nous devons nous régler dans la vie pratique. Timon[3] paraît avoir déjà été préoccupé de l’objection qui devait être tant de fois répétée dans la suite : le doute rend toute action impossible. — Il ne faut pas, répondait Timon, demeurer inerte ; il faut agir. Pour agir, il faut un critérium, un critérium pratique. Ce critérium, qui n’est autre chose que l’ataraxie, permettra de distinguer parmi nos représentations (ἰνδαλμοί) celles qu’il faut suivre et celles qu’il faut écarter. De là, une suite de préceptes, dont nous avons peut-être un échantillon dans un vers cité par Athénée[4], et qui auraient été le contenu du livre de Timon, analogue par ce côté aux traités des stoïciens, ou plutôt au Περὶ εὐθυμίης de Démocrite.

Mais cette conjecture de Hirzel nous semble fort peu vraisemblable : les raisons dont il l’appuie sont bien subtiles. Comment croire que Timon, s’il avait voulu parler seulement des images vraies ou utiles, eût intitulé son livre Ἰνδαλμοί sans aucune qualification ? Il est plus probable, comme l’a conjecturé Wachsmuth[5], que le mot Ἰνδαλμοί est pris ici en mauvaise

  1. Voy. ci-dessus, p. 62.
  2. Op. cit., p. 51, 60.
  3. Sext. M., VII, 29.
  4. VIII, 337, A. :

               Παγχάλως δὲ καὶ ὁ Τίμων ἔφη·
    πάντων μὲν πρώτιστα κακῶν ἐπιθυμίη ἐστίν.

  5. Op. cit., p. 11.