Page:Victor Brochard - Les Sceptiques grecs.djvu/99

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
89
TIMON DE PHLIONTE.

Timon a écrit contre les physiciens permet de conjecturer que sur plus d’un point il avait argumenté de la sorte.

En outre, Diogène nous donne aussi quelques renseignements positifs. Il nous apprend[1] que Timon combattait ceux qui veulent confirmer le témoignage des sens par celui de la raison : « Le francolin et le corlieu se rencontrèrent, » disait Timon[2] dans un vers qui était peut-être le commencement d’une fable. Ces noms d’oiseaux sont employés ici, ainsi que l’a remarqué Ménage, comme synonymes de fripons. C’est à ces fripons que le sceptique assimilait les sens et la raison.

Enfin, Diogène[3] nous assure que, dans le Python, Timon interprétait la formule οὐδὲν μᾶλλον dans le sens où tous les sceptiques l’ont entendue depuis.

D’un autre côté cependant, si la critique des thèses dogmatiques avait eu chez Timon un grand développement et une véritable importance, si son scepticisme avait déjà pris la forme dialectique, comment croire que Sextus ne l’eût pas cité plus souvent et avec plus de précision et en lui faisant de plus larges emprunts ? Quand on le voit insister avec complaisance sur les arguments d’un Diodore Cronus, comment supposer qu’il n’eût pas saisi avec empressement l’occasion de reproduire les critiques

  1. IX, 114.
  2. La supposition admise par Wilamovitz (Philol. Unters., IV, 32), suivant laquelle Timon aurait joué sur le mot νουμηνίος et désigné en même temps que le corlieu le philosophe Numénius, autre disciple de Pyrrhon, le même qui est cité par Diogène (IX, 102), semble bien invraisemblable. Il faudrait admettre que ce Numénius, disciple infidèle de Pyrrhon, était devenu un dogmatiste ; c’est pour ce motif que seul, d’après Diogène (68), il aurait dit que Pyrrhon avait dogmatisé, n’est plus probable, comme le montre Hirzel (op. cit., p. 44), que le Numénius de Diogène est le néopythagoricien dont Eusèbe nous a conservé des fragments. De plus, si le Numénius nommé plus loin avec Timon lui-même et Ænésidème était un sceptique, on ne voit pas pourquoi Timon l’aurait attaqué. Il se peut aussi, comme le conjecture Hirzel, que l’énumération assez bizarre de Timon, Ænésidème, Numénius, Nausiphanes, appelés συνήθεις de Pyrrhon, quoiqu’ils ne soient pas tous du même temps, soit une interpolation. Enfin, comme l’indique Natorp (op. cit., p. 291), συνήθεις ne se rapporte peut-être qu’à Timon et Ænésidème ; il n’y aurait alors aucune difficulté à considérer Numénius comme étranger à l’école sceptique, aussi bien que Nausiphanes.
  3. Diog., IX, 76.