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I DIFFÉRENCES POLITIQUES ENTRE LES CONTINENTS ET LES ILES.

Les naturalistes analysent les différences que présente la marche de la vie végétale et animale, selon qu’elle se produit dans les îles ou sur les continents. Ils nous montrent que le nombre d’espèces va diminuant dans les îles, suivant la distance qui les sépare du continent. A la grande complexité qui caractérise sur les continents le tableau de la vie, se substitue dans les îles une simplicité relative. Les éléments qui composent le monde vivant étant ici moins nombreux, il en résulte que les conditions de la lutte pour l’existence sont différentes. Certaines espèces que leur faiblesse vouerait sur le continent à une destruction rapide, parviennent, dans les îles, à se conserver longtemps ; et leur nombre, relativement considérable, imprime un cachet d’autonomie aux flores et aux faunes insulaires. Il est vrai que cet état d’équilibre est vite rompu si les circonstances introduisent des espèces plus vigoureuses et envahissantes. Devant ces nouveaux champions qui entrent en lice, la résistance des espèces qui n’avaient d’autre garantie que leur isolement ne tient guère. On voit alors des changements d’autant plus brusques et radicaux que l’isolement avait été plus complet. L’arrivée des Européens aux Mascareignes, à la Nouvelle-Zélande, a été le signal de révolutions de ce genre.

On peut faire application de ces notions aux faits de la géographie humaine. Les îles et, dans une certaine mesure, les péninsules puisent dans un fonds ethnique moins riche que les continents. Elles offrent le spectacle de développements autonomes, interrompus de temps en temps par des révolutions radicales. C’est une conséquence de l’espace limité et relativement étroit alloué aux sociétés qui s’y sont formées. Le cadre où elles sont contenues est pour elle une sollicitation permanente d’autonomie. Elles y tendent comme vers leur état naturel. Cette autonomie, plus facilement réalisée qu’ailleurs, s’étend aux habitudes, au caractère, parfois jusqu’à l’histoire. L’exemple de l’Angleterre et de l’Espagne montre comment des parties complètement ou à demi détachées du continent et plus libres ainsi de s’absorber dans une tâche unique, peuvent porter dans leur histoire le caractère de spécialisme qui distingue chez elles la nature vivante. Mais nulle part non plus on n’a observé de changements plus radicaux. N’est-ce pas dans des îles ou des péninsules que se sont produites, et là seulement, que pouvaient se produire des ruptures telles que la substitution d’une Angleterre saxonne à une Bretagne celtique, d’une Espagne chrétienne à une Espagne moresque, d’un Japon moderne à un Japon féodal, et peut-être jadis d’une Grèce hellénique à une Grèce mycénienne ? Ces révolutions frappent par un certain caractère de simplicité dans la façon dont elles s’accomplissent et par la possibilité de les ramener à peu près à des dates déterminées.

La marche de la vie sur les continents est différente. Elle se déroule sur un plan plus vaste. Plus de forces sont à l’œuvre pour faire continuellement succéder un nouvel état de choses à l’ancien ; mais le changement rencontre aussi plus de résistances. L’aire de propagation des espèces vivantes, et en