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ment au site dont une population antérieure avait déjà développé la richesse agricole.

Sans doute les trouvailles archéologiques nous font connaître surtout des armes, des instruments de luxe. Mais d’heureux hasards ont exhumé aussi des témoignages de la vie agricole que menaient les peuples au Nord des Alpes : le blé, l’orge, quelques fruits, des tissus fabriqués de lin, ont été trouvés dans les plus anciennes stations lacustres. On voit ces populations primitives déjà en possession des principaux animaux domestiques, bœuf, mouton, chèvre, porc[1]. Plus tard, quand les Romains firent connaissance avec le Nord de la Gaule, ils y rencontrèrent des pratiques agricoles dont l’originalité et la supériorité les frappèrent. L’invention de la charrue à roues, de la moissonneuse à roues, s’explique fort naturellement sur des plateaux découverts à faibles ondulations, tandis que l’araire léger et facile à manier est à sa place sur les terres accidentées du Massif central et des bords de la Méditerranée.

Est-on en droit d’admettre l’existence de relations suivies entre les peuples qui occupaient ces régions limoneuses ? L’examen comparatif des trouvailles archéologiques nous montre, soit entre les contrées danubiennes et l’Est de la France, soit entre le Nord de notre pays et les contrées situées à l’Est du cours inférieur rhénan, des analogies dûment constatées, qui sont preuves de connaissance réciproque et d’échanges. Une vie circule à travers l’Europe centrale. Il est donc permis de parler d’anciennes voies de migrations et de commerce ayant relié la partie du continent qu’occupe la France à celle qui s’étend vers l’Est par le Danube ou par les plaines méridionales de la Russie.

C’est au sujet de la voie danubienne qu’un des plus profonds connaisseurs des civilisations primitives, Worsaae, a écrit: « De nouveaux flots de vie et de sang jeune n’ont pas cessé pendant longtemps de couler par là chez les habitants des vallées circumvoisines[2]. » Quelque réserve qu’imposent ces questions d’origine, il est difficile de chercher ailleurs les sources communes de « ces flots de vie », que dans la région de l’Asie occidentale qui s’étend au Sud du Caucase. C’est bien de là que semblent s’être acheminées vers nous les plantes nourricières ou utiles, et la plupart des arbres fruitiers et animaux domestiques que nous voyons acclimatés de bonne heure dans notre Europe occidentale. Cette acclimatation suppose une haute antiquité de rapports humains. La géographie n’apporte-t-elle pas un témoignage considérable en faveur de cette antiquité, si elle est en mesure de montrer, comme nous avons essayé de le faire, par quelles voies naturelles ils ont pu se transmettre ?

  1. La race actuelle du bœuf que son museau noir, sa tête large et sa couleur brune distinguent de celles qui sont, plus tard, venues du Nord, se retrouvent dans les tourbières préhistoriques de la Suisse.
  2. Worsaae, Die Vorgeschichte des Nordens nack gleichzeitigen Denkmälern, 1878, p. 83.