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pour profiter de toutes les occasions que multiplient les variétés de relief et de sol. Le mélange du Nord et du Sud est plus marqué dans certaines contrées de transition comme la Bourgogne et la Touraine, qui représentent, pour étendre l’expression de Michelet, « l’élément liant de la France ». Mais on peut dire que ce mélange est la France même. L’impression générale est celle d’une moyenne, dans laquelle les teintes qui paraissaient disparates se fondent en une série de nuances graduées.


VII MODES D’EXISTENCES

Il en résulte la grande variété de produits auxquels le sol français se prête ; variété qui est une garantie pour l’habitant, le succès d’une culture pouvant, dans la même année, compenser l’échec d'une autre.

Le grand avantage, écrivait récemment un consul anglais, que le petit tenancier ou le petit propriétaire a en France, est dans les différences de climat qui favorisent la croissance des articles variés et de petits produits qui ne viennent pas bien dans notre pays. Ce sont ces petits produits qui rendent possible l’idéal qu’a longtemps caressé l’habitant de la vieille France, et qui reste encore enraciné çà et là, celui de réaliser et d’obtenir sur place tous les éléments et les commodités de la vie. C’était bien le désir que devaient suggérer « ces benoîts pays », répartis de tous côtés, dans lesquels il n’était pas chimérique de rêver une existence abondante, se suffisant largement à elle-même. Généralisez cette idée : elle ressemble assez à celle que la moyenne des Français se fait de la France. C’est l’abondance des « biens de la terre », suivant l’expression chère aux vieilles gens, qui pour eux s’identifie avec ce nom. L'Allemagne représente surtout pour l’Allemand une idée ethnique. Ce que le Français distingue dans la France, comme le prouvent ses regrets quand il s’en éloigne, c’est la bonté du sol, le plaisir d’y vivre. Elle est pour lui le pays par excellence, c’est-à-dire quelque chose d’intimement lié à l’idéal instinctif qu’il se fait de la vie.

Il y a pourtant en France de mauvais comme de bons pays. Il en est qu’on décorait d’épithètes flatteuses, et qui, surtout jadis, s’opposaient dans l’esprit et le langage populaires aux terres plus déshéritées, réduites à remplacer par de mesquins expédients de subsistance, le blé, le vin et le reste. Le cultivateur des bons pays a du mépris pour la terre qui ne nourrit pas son homme. Un certain air de compassion tempérée de raillerie accueillait les habitants des ingrats terroirs voués au sarrasin ou à la châtaigne, ou des pays incapables de se suffire et obligés de se pourvoir chez le voisin. Les pauvres habitants de la Vôge excitaient ce sentiment quand ils paraissaient chez leurs riches voisins de la Comté, en quête de cendres de lessives pour amender leurs maigres terrains de grès. Il est probable que le joyeux habitant des vallées tourangelles éprouvait quelque chose de semblable pour ces pays de sable et de grès, où il vient plus d'arbres que de blé. Rabelais ne trouve pas d’autre expression pour peindre quelque part le dénuement de Panurge, que