Page:Vigneron - Portraits jaunes, 1896.pdf/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
18
PORTRAITS JAUNES

de Kioto, ces sabres, avec lesquels les Samouraï s’ouvraient le ventre, ces masques grimaçants, ces services d’Imali, plus minces que les Sèvres, où les lis, les bégonias et les rosiers s’entrelacent sur des surfaces laiteuses et diaphanes, ces robes à ramages et ces ceintures à nœuds énormes et bouffants, ces kansashi, ces épingles à cheveux fantastiques : tout cela existe encore, il est vrai, mais est connu, archiconnu et peut être fourni à l’instant par les Bing ou les Cernuschi, qui accumulent les dépouilles et les trésors de l’Extrême-Orient . Quant aux Japonais, leur type nous est familier : une taille exiguë, une pâleur jaune, une figure imberbe, des pommettes saillantes, un nez petit, des yeux entr’ouverts et tirés aux coins. Où est le temps des splendides costumes de.cour, des habits de soie empesés, à forme de ballons, des chignons épais aux cheveux tirés et aplatis sur le devant, des attirails guerriers et des doubles sabres, insigne de noblesse ? Tout à l’européenne ! les jaunes en redingote et en chapeau de soie sont du meilleur monde et d’une politesse exquise ; les officiers de terre et de mer ne diffèrent en rien de leurs collègues de France ou d’Allemagne, si ce n’est peut-être par leur extrême réserve, leurs manières froides et compassées, leur voix lente, douce et un peu traînante.

Ces jaunes ont une école centrale, une école de droit, une école militaire, une école de médecine. Je me souviens de mon ahurissement, quand en 1876, — il y a longtemps comme on le voit, — un de mes amis, aujourd’hui officier supérieur et chargé de la défense cuirassée de nos forteresses, se présenta devant moi en me disant :

« Je viens vous faire mes adieux, je pars…

— Et où cela ?

— Loin, très loin, au Japon.

— Mais en quelle qualité, s’il vous plaît ? »

Il était lieutenant du génie.

« Je suis détaché par le ministère de la guerre et nommé professeur de géodésie à l’École militaire de Tokio. »

Professeur de géodésie au Japon ! Cela supposait que les Japonais étudiaient les sciences exactes, et c’était la vérité. On leur a concédé ce goût-là, mais on les a défiés de prendre le goût des lettres, l’intelligence de l’histoire, le sentiment du