Page:Vignier - Album de vers et de prose, 1888.djvu/12

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dre. Me vois tu à cinquante ans, chauve et brèche dents, proclamer en larmoyant « que l’amour fut le but de ma vie » ; comme Casanova, alors ? Non, depuis longtemps déjà, je médite des plans d’avenir, mon intelligence vaut de s’occuper à d’utiles objets. L’étude de la sociologie m’a toujours séduit. (triomphant) Tiens, Juliette, hier même, j’ai demandé au cabinet de lecture, la Théorie des quatre mouvements de Fourier, œuvre magistrale, malgré ses incohérences.

Juliette (souriante). — Je t’en ai tant vu prendre de livres au cabinet de lecture, que tu n’as jamais lu.

Roméo. — Paix, Juliette, je t’en prie. À partir de demain, je commencerai à piocher ma sociologie. Mais toi, ma chérie, il faut aussi t’adonner à quelque occupation sérieuse ; veux tu apprendre l’allemand, ou plutôt non, étudie la botanique, c’est très coquet, tu sécheras des fleurs et je te ferai des étiquettes pour tes herbiers.

(Tombant à genoux devant Juliette). Veux tu ! ma petite Juliette, veux tu étudier la botanique ? (Il la baise sur la nuque, aux cheveux). Veux tu étudier la botanique, dis ? (caresses frivoles et qui peu à peu s’aggravent) veux tu étudier… tes cheveux sentent bon, mon aimée, (balbutiant) la botanique, la bota… (silence) veux-tu, ma chère âme ? (résolu) décidément, le jour me fait mal aux yeux, je clos les rideaux… viens, ma Juliette, je t’en prie, (il l’entraîne).

Juliette. — Et la botanique ?

Roméo. — Pardon, mon aimée de toutes les sornettes que je t’ai débitées.(À part hypocritement). Au fond, la journée était perdue.