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poèmes antiques et modernes

Mais tout était paisible et tout dormait dans l’air ;
Rien ne semblait vivant, rien, excepté l’éclair[1].
Le pasteur poursuivit d’une voix solennelle :
« Adieu, Monde sans borne, ô Terre maternelle !
Formes de l’horizon, ombrages des forêts.
Antres de la montagne, embaumés et secrets ;
Gazons verts, belles fleurs de l’Oasis chérie,
Arbres, rochers connus, aspects de la patrie !
Adieu ! tout va finir, tout doit être effacé[2],
Le temps qu’a reçu l’homme est aujourd’hui passé,
Demain rien ne sera. Ce n’est point par l’épée,
Postérité d’Adam, que tu seras frappée,
Ni par les maux du corps ou les chagrins du cœur
Non, c’est un élément qui sera ton vainqueur.
La Terre va mourir sous des eaux éternelles[3],
Et l’Ange en la cherchant fatiguera ses ailes.
Toujours succédera, dans l’Univers sans bruits[4],
Au silence des jours le silence des nuits[5].

  1. Entre 104 et 105, P2, A-C3, un filet ou fleuron.
  2. Byron, C. et T., sc. 3 : Solitudes, qui paraissez éternelles, et toi, caverne qui sembles sans fond, et vous, montagnes si variées et si terribles dans votre beauté… Monde magnifique, si jeune, et voué à la destruction, c’est le cœur déchiré que je te contemple, jour après jour, nuit après nuit, ces jours et ces nuits qui sont comptés.
  3. Var : P2, A-C3, Ta Terre
  4. Var : P2, A-C1, univers
  5. Byron, C. et T., sc. 3 : Réjouissons-nous ! La race abhorrée qui n’a pu garder son haut rang dans l’Éden, mais qui a écouté la voix de la science impuissante, touche à l’heure de la mort ! Ce n’est pas lentement, ce n’est pas un a un, ce n’est pas par l’épée, ni par le chagrin, ni sous les années, ni par le déchirement du cœur, ni sous l’action minante du temps qu’ils doivent succomber ! Voici leur dernier lendemain ! La terre sera l’Océan ! et aucun souffle, sauf celui des vents, ne passera sur les flots sans limites ! Les anges fatigueront leurs ailes sans trouver un lieu où se poser… Un autre élément sera le maître de la vie… Et à l’universelle clameur de l’humanité succédera l’universel silence. — Byron parait ici se souvenir de deux vers d’Ovide, Métam., l, 307-308, qu’on trouvera cités plus loin, p. 85, n. 1.