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poèmes antiques et modernes

Dérobés à la mort, mais reconquis par elle
Sous les palais profonds de leur tombe éternelle ;
Il eut le temps encor de penser une fois
Que nul ne saurait plus le nom de tant de rois,
Qu’un seul jour désormais comprendrait leur histoire.
Car la postérité mourait avec leur gloire.



L’arche de Dieu passa comme un palais errant.
Le voyant assiégé par les flots du courant,
Le dernier des enfants de la famille élue
Lui tendit en secret sa main irrésolue,
Mais d’un dernier effort : « Va-t’en, lui cria-t-il,
De ton lâche salut je refuse l’exil ;
Va, sur quelques rochers qu’aura dédaignés l’onde,
Construire tes cités sur le tombeau du monde ;
Mon peuple mort est là, sous la mer je suis roi.
Moins coupables que ceux qui descendront de toi,
Pour étonner tes fils sous ces plaines humides,
Mes géants[1] glorieux laissent les pyramides[2] ;
Et sur le haut des monts leurs vastes ossements,
De ces rivaux du Ciel terribles monuments,
Trouvés dans les débris de la terre inondée[3],

  1. Or, il y avait des géants sur la terre. Car, depuis que les fils de Dieu eurent épousé les filles des hommes, il en sortit des enfants fameux et puissants dans le siècle. (Genèse, ch. vi, v. 4.)
  2. Byron, C. et T., sc. 5 : Mais les mêmes tempêtes morales submergeront l’avenir, comme les vagues dans quelques heures les tombeaux des glorieux géants. — Byron cite en note le même verset de la Genèse auquel renvoie Vigny.
  3. Var : P2, A, Terre