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poèmes antiques et modernes

Et la lampe luttait ; sa flamme sans puissance
Décroissait inégale, et semblait un mourant
Qui sur la vie encor jette un regard errant.
À ses yeux fatigués tout se montre plus sombre[1].
Le crucifix penché semble agiter son ombre :
Un grand froid la saisit ; mais les fortes douleurs
Ignorent les sanglots, les soupirs et les pleurs :
Elle reste immobile, et, sous un air paisible,
Mord, d’une dent jalouse, une main insensible.



Que le silence est long ! Mais on entend des pas !
La porte s’ouvre, il entre : elle ne tremble pas !
Elle ne tremble pas, à sa pâle figure
Qui de quelque malheur semble traîner l’augure ;
Elle voit sans effroi son jeune époux, si beau.
Marcher jusqu’à son lit comme on marche au tombeau.
Sous les plis du manteau se courbe sa faiblesse ;
Même sa longue épée est un poids qui le blesse.
Tombé sur ses genoux, il parle à demi-voix :



« — Je viens te dire adieu ; je me meurs, tu le vois,
Dolorida, je meurs ! une flamme inconnue.
Errante, est de mon sang jusqu’au cœur parvenue[2].
Mes pieds sont froids et lourds, mon œil est obscurci ;
Je suis tombé trois fois en revenant ici.
Mais je voulais te voir ; mais quand l’ardente fièvre
Par des frissons brûlants a fait trembler ma lèvre.

  1. Var : O, Malheureuse ! à ses yeux
  2. Var : D, dans mon sang