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poèmes antiques et modernes

Tourne, les yeux baissés sur un sein frémissant[1].



Courez, jeunes beautés, formez la double danse.
Entendez-vous l’archet du bal joyeux[2],
Jeunes beautés ? Bientôt la légère cadence
Toutes va, tout à coup, vous mêler à mes yeux[3].



Dansez et couronnez de fleurs vos fronts d’albâtre ;
Liez au blanc muguet l’hyacinthe bleuâtre,
Et que vos pas moelleux, délices d’un amant[4].
Sur le chêne poli glissent légèrement ;
Dansez, car dès demain vos mères exigeantes
À vos jeunes travaux vous diront négligentes ;
L’aiguille détestée aura fui de vos doigts.
Ou, de la mélodie interrompant les lois,

  1. Cette description de la « walse » rappelle un passage célèbre de Werther, trad. Sévelinges, 1804 (Charlotte et Werther ont commencé de danser ensemble) : On en vint aux valses. D’abord peu de danseurs étant au fait, ce fut, au bout de quelques tours, une confusion épouvantable. Prudemment, nous les laissâmes se démêler, et les plus gauches renonçant à la partie, nous nous emparâmes du parquet, et reprîmes avec une nouvelle ardeur. Audran et sa danseuse furent les seuls qui continuèrent avec nous. Jamais je ne me sentis pareille agilité. Je n’étais plus un homme. Tenir dans ses bras la plus aimable des créatures ! Voler avec elle comme le tourbillon qui annonce la tempête ! voir tout passer, tout s’éclipser autour de soi ! sentir !… Mon ami, pour être franc, je fis alors le serment qu’une fille que j’aimerais, sur laquelle j’aurais des droits, ne valserait jamais avec un autre homme, dussé-je cent fois périr ! Tu me comprends. — Les dix vers ajoutés dans l’édition de 1822 semblent mettre en scène Vigny lui-même, rêveur et distrait, tel que nous le dépeint la comtesse d’Agoult, qui fut vers ce temps-là une de ses danseuses, et qui déclare n’avoir connu de lui, au bal, « que ses distractions à la contredanse ». (Daniel Stern, Mes Souvenirs, 1880, p. 305).
  2. Var : O, P1, Bal
  3. Var : O, Va tout à coup vous mêler à mes yeux (vers de dix syllabes).
  4. Var : O, P1, délices de l’amant,