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CHANT DEUXIÈME

séduction[1]

Souvent parmi les monts qui dominent la terre
S’ouvre un puits naturel, profond et solitaire ;
L’eau qui tombe du ciel s’y garde, obscur miroir
Où, dans le jour, on voit les étoiles du soir[2].
Là, quand la villageoise a, sous la corde agile,
De l’urne, au fond des eaux, plongé la frêle argile,
Elle y demeure oisive, et contemple longtemps
Ce magique tableau des astres éclatants.
Qui semble orner son front, dans l’onde souterraine[3],
D’un bandeau qu’envîraient les cheveux d’une Reine.
Telle, au fond du Chaos qu’observaient ses beaux ; yeux,
La Vierge, en se penchant, croyait voir d’autres Cieux[4].

  1. Var : M, 1er main, L’Enfer en surcharge : Les TénèbresDans le coin supérieur de gauche, ces deux mots jetés en marge : Séduction et un peu au-dessous : Véronèse. — O, Chant Second.
  2. Chateaubriand, Génie du Christ., 1er partie, l. V, ch. 10 : On trouve au pied des monts Apalaches, dans les Florides, des fontaines qu’on appelle puits naturels. Chaque puits est creusé au centre d’un monticule planté d’orangers, de chênes-verts et de catalpas. Ce monticule s’ouvre en forme de croissant du côté de la savane, et un courant d’eau sort du puits par cette ouverture. Les arbres, en s’inclinant sur la fontaine, rendent sa surface toute noire au-dessous ; mais à l’endroit où le courant d’eau s’échappe de la base du cône, un rayon du jour, pénétrant par le lit du canal, tombe sur un seul point du miroir de la fontaine, qui imite l’effet de la glace dans la chambre obscure du peintre.
  3. Var : M, dans l’ombre souterraine
  4. Milton, P. P., IV, 457 : Je me couchai [c’est Ève qui parle] sur la rive verdoyante, pour plonger mes regards dans le lac clair et lisse, qui me semblait un autre ciel. Comme je me penchais pour voir, juste en face de moi une forme apparut dans le miroir liquide, se penchant aussi pour me voir…