Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/210

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des grands fauteuils romains dorés et chargés d’aigles, et attendit ce que lui allait dire l’autre Italien.

Ah ! monsieur, quelle scène ! quelle scène ! je la vois encore. — Ce ne fut pas le génie de l’homme qu’elle me montra, mais ce fut son caractère ; et si son vaste esprit ne s’y déroula pas, du moins son cœur y éclata. — Bonaparte n’était pas alors ce que vous l’avez vu depuis ; il n’avait point ce ventre de financier, ce visage joufflu et malade, ces jambes de goutteux, tout cet infirme embonpoint que l’art a malheureusement saisi pour en faire un type, selon le langage actuel, et qui a laissé de lui, à la foule, je ne sais quelle forme populaire et grotesque qui le livre aux jouets d’enfants et le laissera peut-être un jour fabuleux et impossible comme l’informe Polichinelle. — Il n’était point ainsi alors, monsieur, mais nerveux et souple, mais leste, vif et élancé, convulsif dans ses gestes, gracieux dans quelques moments, recherché dans ses manières ; la poitrine plate et rentrée entre les épaules, et tel encore que je l’avais vu à Malte, le visage mélancolique et effilé.

Il ne cessa point de marcher dans la chambre quand le Pape fut entré ; il se mit à rôder autour du fauteuil comme un chasseur prudent, et s’arrêtant tout à coup en face de lui dans l’attitude roide et immobile d’un caporal, il r