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ET SUR LA POÉSIE LYRIQUE.

Quelques autres images du poëte de Tibur, cette courtisane, ces amis qui, fuyant avec la Fortune, disparaissent quand l’amphore est vide, vous faisaient songer seulement à d’humbles catastrophes de la vie privée sous les Césars. Mais la brusque succession des empires, les avènements de peuples nouveaux, tout ce travail de l’Europe depuis la chute de Rome, sont présents au poëte chrétien et grandissent pour lui le symbole païen qu’il emploie.

Une telle poésie ressemble à la chose même qu’elle décrit. Comme le moyen âge, elle hérite de tout le passé : elle le reçoit obscurci, brisé, confondu ; elle le dément tour à tour et le répète ; elle lui prend ses fictions et les éclaire d’une vérité nouvelle ; elle lui prend ses vérités, et les rend plus pathétiques et plus vastes ; elle bâtit Saint-Pierre de Rome avec les débris des temples païens, mais elle place au sommet la coupole de Michel-Ange.

L’ensemble de la Divine Comédie nous offrirait souvent des marques de ce progrès du temps et du génie, malgré les accessoires barbares qui s’y mêlent. Mais à d’autres appartient cette étude, dans sa variété vraiment inépuisable. Qu’il nous suffise ici de retrouver çà et là et de suivre à la trace les blanches lueurs de cette grande poésie, que nous avions admirée dans la Grèce et qui revient, à longs intervalles, pour le monde, comme ces astres dont le poëte a vu

Flammarum longos à tergo albescere tractus.