Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/122

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de bures lacustres. Tout au moins ne désespérions-nous pas de retrouver, dans les signes brodés sur la trame, les indices d’une provenance accade ou troglodyte. Peut-être étions-nous en présence des innombrables lés du suaire de Xisouthros, blanchis et débités, au détail, comme toiles de table. — Nous dûmes, toutefois, après examen, nous contenter d’y soupçonner les inscriptions cunéiformes d’un menu rédigé simplement sous Nemrod : nous jouissions déjà de la surprise et de la joie de M. Oppert, lorsqu’il apprendrait cette découverte enfin récente.

Puis la Nuit jetait ses ombres, ses effets étranges et ses demi-teintes sur les objets, renforçant la bonne volonté de nos convictions et de nos rêves.

Le café fumait dans les tasses transparentes : C*** consumait doucereusement un havane et s’enveloppait de flocons de fumée blanche, comme un demi-dieu dans un nuage.

Le baron de H***, les yeux demi-fermés, étendu sur un sofa, l’air un peu banal, un verre de champagne dans sa main pâle qui pendait sur le tapis, paraissait écouter, avec attention, les prestigieuses mesures du duo nocturne (dans le Tristan et Yseult de Wagner), que jouait Susannah en détaillant les modulations incestueuses avec beaucoup de sentiment. Antonie et Clio la Cendrée, enlacées et radieuses, se taisaient, pendant les accords lentement résolus par cette bonne musicienne.

Moi, charmé jusqu’à l’insomnie, je l’écoutais aussi, auprès du piano.