Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/172

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— Qui sait ce que nous réserve l’avenir ? lui répondit Lucienne souriante, bien qu’un peu interdite. — Rostanges n’est qu’un caprice irrésistible. — Et maintenant, ajouta-t-elle après un bref silence, continuez, mon ami, je vous prie. Je voudrais apprendre, avant de nous quitter, ce qui donne le droit aux grands artistes de tant dédaigner les façons des autres hommes.

Un instant se passa, terrible, muet, entre les deux amants.

— Nous ressentons, en un mot, les sensations ordinaires, reprit Maximilien, avec autant d’intensité que quiconque. Oui, le fait naturel, instinctif d’une sensation, nous l’éprouvons, physiquement, tout comme les autres ! Mais c’est, seulement, tout d’abord, que nous le ressentons de cette manière humaine !

» C’est la presque impossibilité d’exprimer ses prolongements immédiats en nous qui nous fait paraître comme paralysés, presque toujours, en bien des circonstances. Au moment où les autres hommes sont déjà parvenus à l’oubli, faute de vitalité suffisante, elles grandissent en notre être, tenez, comme les rumeurs de la houle lorsqu’on approche de la mer. Ce sont les perceptions de ces prolongements occultes, de ces infinies et merveilleuses vibrations qui, seules, déterminent la supériorité de notre race. — De là ces discordances apparentes entre les pensées et les attitudes lorsque l’un d’entre nous, par exemple, essaye de traduire, à la manière de tout le monde, ce qu’il éprouve. Songez quelle distance nous sépare de ces