Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/214

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ou non, dans un siècle pratique, positif et de lumières ? Oui. — Eh bien ! soyons de notre siècle ! Il faut être de son siècle. — Qui est-ce qui veut souffrir, aujourd’hui ? En réalité ? — Personne. — Donc, plus de fausse pudeur ni de sensiblerie de mauvais aloi. Plus de sentimentalités stériles, dommageables, le plus souvent exagérées, et dont ne sont même plus dupes les passants — aux coups de chapeaux convenus devant les corbillards.

Au nom de la Terre, un peu de bon sens et de sincérité ! — Quelques grands airs que nous prenions, étions-nous visibles au microscope solaire il y a quelques années ? Non. Donc ne condamnons pas trop vite ce qui nous choque, faute d’habitude et de réflexion suffisante ! Courageux libres penseurs, mettons à la mode la dignité souriante de la douleur filiale, en l’émondant, à l’avance, de ses côtés écervelés qui frisent, parfois, le grotesque.

Disons plus : la pieuse prostration de l’enfant qui a perdu sa vieille mère, par exemple, n’est-elle pas (de nos jours) un luxe que les indigents, harcelés par une tâche obligatoire, ne peuvent se permettre ? Le loisir de cette songerie morbide n’est donc pas de première nécessité : l’on peut, enfin, s’en passer ? Les gémissements des personnes aisées sont-ils autre chose qu’un gaspillage du temps social compensé par le travail des classes laborieuses qui, moins favorisées de dame Fortune, renfoncent les leurs ?

Le rentier ne larmoie sur ses défunts qu’aux frais des besogneux : il se fait offrir, implicitement, le