Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/247

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

D*** s’interrompit et mit la tête dans ses mains.

— Allons ! voyons ! Nous savons que tu as du cœur… Achève ! crièrent, de toutes parts, les convives, très émus à leur tour.

— Eh bien, voilà ! dit D***. — Raoul était tombé sur l’herbe, sur un genou, après avoir fait un tour sur lui-même. La balle l’avait frappé en plein cœur, enfin, là ! — (Et D*** se frappait la poitrine.) — Je me précipitai vers lui.

— Ma pauvre mère ! murmura-t-il.

(D*** regarda les convives : ceux-ci, en gens de tact, comprirent, cette fois, qu’il eût été d’assez mauvais goût de réitérer le sourire de la « croix de ma mère ». Le « ma pauvre mère » passa donc comme une lettre à la poste ; le mot, étant réellement en situation, devenait possible.)

— Ce fut tout, reprit D***. Le sang lui vint à pleine bouche.

Je regardai du côté de l’adversaire : il avait, lui, l’épaule fracassée.

On le soignait.

Je pris mon pauvre ami dans mes bras. Prosper lui soutenait la tête.

En une minute, figurez-vous ! je me rappelai nos bonnes années d’enfance ; les récréations, les rires joyeux, les jours de sortie, les vacances ! — lorsque nous jouions à la balle !…

(Tous les convives inclinèrent la tête, pour indiquer qu’ils appréciaient le rapprochement.)

D***, qui se montait visiblement, se passa la main