Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/266

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je m’habillai à la hâte, très oublieux du sombre commencement de ma nuitée.

Complètement ranimé par des ablutions réitérées d’eau fraîche, je descendis.

L’abbé Maucombe était dans la salle à manger : assis devant la nappe déjà mise il lisait un journal en m’attendant.

Nous nous serrâmes la main :

— Avez-vous passé une bonne nuit, mon cher Xavier ? me demanda-t-il.

— Excellente ! répondis-je distraitement (par habitude et sans accorder attention le moins du monde à ce que je disais).

La vérité est que je me sentais bon appétit : voilà tout.

Nanon intervint, nous apportant le déjeuner.

Pendant le repas, notre causerie fut à la fois recueillie et joyeuse : l’homme qui vit saintement connaît, seul, la joie et sait la communiquer.

Tout à coup, je me rappelai mon rêve.

— À propos, m’écriai-je, mon cher abbé ; il me souvient que j’ai eu cette nuit un singulier rêve, — et d’une étrangeté… comment puis-je exprimer cela ? Voyons… saisissante ? étonnante ? effrayante ? — À votre choix ! — Jugez-en.

Et, tout en pelant une pomme, je commençai à lui narrer, dans tous ses détails, l’hallucination sombre qui avait troublé mon premier sommeil.

Au moment où j’en étais arrivé au geste du prêtre m’offrant le manteau, et avant que j’eusse entamé cette