Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/284

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ne vous entends pas ! Je n’entendrais pas votre nom ! Je n’entendrais pas votre dernier soupir ! Je n’entends pas les battements de votre cœur qui frappent mon front et mes paupières ! Ne voyez-vous pas l’affreuse souffrance qui me tue ! — Je suis… ah ! je suis Sourde !

— Sourde, s’écria Félicien, foudroyé par une froide stupeur et frémissant de la tête aux pieds.

— Oui ! depuis des années ! Oh ! toute la science humaine serait impuissante à me ressusciter de cet horrible silence. Je suis sourde comme le ciel et comme la tombe, monsieur ! C’est à maudire le jour, mais c’est la vérité. Ainsi, laissez-moi !

— Sourde, répétait Félicien, qui, sous cette inimaginable révélation, était demeuré sans pensée, bouleversé et hors d’état même de réfléchir à ce qu’il disait. Sourde ?…

Puis, tout à coup :

— Mais, ce soir, aux Italiens, s’écria-t-il, vous applaudissiez, cependant, cette musique !

Il s’arrêta, songeant qu’elle ne devait pas l’entendre. La chose devenait brusquement si épouvantable qu’elle provoquait le sourire.

— Aux Italiens ?… répondit-elle, en souriant elle-même. Vous oubliez que j’ai eu le loisir d’étudier le semblant de bien des émotions. Suis-je donc la seule ? Nous appartenons au rang que le destin nous donne et il est de notre devoir de le tenir. Cette noble femme qui chantait méritait bien quelques marques suprêmes de sympathie ? Pensez-vous, d’ailleurs, que mes applaudissements différaient beaucoup de ceux