Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/285

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des dilettanti les plus enthousiastes ? J’étais musicienne, autrefois !…

À ces mots, Félicien la regarda, un peu égaré, et s’efforçant de sourire encore :

— Oh ! dit-il, est-ce que vous vous jouez d’un cœur qui vous aime à la désolation ? Vous vous accusez de ne pas entendre et vous me répondez !…

— Hélas, dit-elle, c’est que… ce que vous dites, vous le croyez personnel, mon ami ! Vous êtes sincère ; mais vos paroles ne sont nouvelles que pour vous. — Pour moi, vous récitez un dialogue dont j’ai appris, d’avance, toutes les réponses. Depuis des années, il est pour moi toujours le même. C’est un rôle dont toutes les phrases sont dictées et nécessitées avec une précision vraiment affreuse. Je le possède à un tel point que si j’acceptais, — ce qui serait un crime, — d’unir ma détresse, ne fût-ce que quelques jours, à votre destinée, vous oublieriez, à chaque instant, la confidence funeste que je vous ai faite. L’illusion, je vous la donnerais, complète, exacte, ni plus ni moins qu’une autre femme, je vous assure ! Je serais même, incomparablement, plus réelle que la réalité. Songez que les circonstances dictent toujours les mêmes paroles et que le visage s’harmonise toujours un peu avec elles ! Vous ne pourriez croire que je ne vous entends pas, tant je devinerais juste. — N’y pensons plus, voulez-vous ?

Il se sentit effrayé, cette fois.

— Ah ! dit-il, quelles amères paroles vous avez le droit de prononcer !… Mais, moi, s’il en est ainsi, je