Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/292

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crons ensemble ! Aimons-nous avec plus de courage ? Laisse-toi venir !

Par un mouvement inattendu et féminin, elle noua ses lèvres aux siennes, dans l’ombre, doucement, pendant quelques secondes. Puis elle lui dit avec une sorte de lassitude :

— Ami, je vous dis que c’est impossible. Il est des heures de mélancolie où, irrité de mon infirmité, vous chercheriez des occasions de la constater plus vivement encore ! Vous ne pourriez oublier que je ne vous entends pas !… ni me le pardonner, je vous assure ! Vous seriez, fatalement, entraîné, par exemple, à ne plus me parler, à ne plus articuler de syllabes auprès de moi ! Vos lèvres, seules, me diraient : « Je vous aime », sans que la vibration de votre voix troublât le silence. Vous en viendriez à m’écrire, ce qui serait pénible, enfin ! Non, c’est impossible ! Je ne profanerai pas ma vie pour la moitié de l’Amour. Bien que vierge, je suis veuve d’un rêve et veux rester inassouvie. Je vous le dis, je ne puis vous prendre votre âme en échange de la mienne. Vous étiez, cependant, celui destiné à retenir mon être !… Et c’est à cause de cela même que mon devoir est de vous ravir mon corps. Je l’emporte ! C’est ma prison ! Puissé-je en être bientôt délivrée ! — Je ne veux pas savoir votre nom… Je ne veux pas le lire !… Adieu ! — Adieu !…

Une voiture étincelait à quelques pas, au détour de la rue de Grammont. Félicien reconnut vaguement le laquais du péristyle des Italiens lorsque, sur un signe