Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/300

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le mieux étant l’ennemi du bien : plus tard, on aviserait.

La nuit ayant affolé les fiévreuses rêveries de son juvénile amoureux, tout se passa comme, avec son flair de levrette, notre héroïne l’avait pressenti.

Le jeune provincial, une fois en possession du nom, nouvellement choisi, de la dame, écrivit.

(Maryelle, en mettant un pouce léger sur la signature, me donna cette lettre à lire). S’il faut l’avouer, je fus surpris de l’accent sincère de cette épître : elle émanait, à coup sûr, d’un trop candide, mais très noble garçon. C’était fou ! mais c’était exquis ! Ah ! le charmant et bon petit être ! Un respect, une timidité irrésistibles ! — Il donnait son premier amour, cet enfant-là, prenant cette fille bizarre pour la plus réservée des femmes ! J’en fus attristé moi-même en songeant au dénouement inévitable.

— Il s’appelle, de son petit nom, Raoul, me dit-elle ; il appartient à une excellente famille de la province : ses parents, « des magistrats bien honorables », lui laisseront de l’aisance. Il vient à Paris trois fois par mois, en s’échappant ! Cela dure depuis six semaines.

Maryelle, allumant une cigarette, continua son histoire, comme se parlant à elle-même.

Ayant des côtés abordables, la belle repentie n’était point demeurée insensible à cette passion, si « gentiment » exprimée. Après deux autres « petites lettres d’attendrissement », un voile se déchira pour elle ; son « âme » entrevit l’existence sous un jour inconnu.