Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/356

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— Mais comment se fait-il que, la seconde étant passée, il n’ait pu s’évanouir en la Vision divine ?

D’où vient que, à peine ranimée, la foule de ces êtres muets défaille de nouveau, et s’assombrisse, et s’immobilise, et se confonde avec la nuit ?

C’est que le vieil Initié a perdu, tout à coup, la splendeur de sa sérénité. Il s’émeut, en effet, — et l’étrange indécision de son regard dénonce le vertige de ses sensations.

— Ah ! c’est qu’il se sent toujours palpiter dans les entraves de la Vie !… C’est que le divin anéantissement ne s’est pas accompli.

Déjà les doutes l’assaillent ; déjà, pareils à la fumée d’une torche, les hordes inquiètes des samaëls, qui importunent les accesseurs du Parvis-Occulte, s’émeuvent, tentateurs aux suggestions désolatrices, autour de lui : son front s’enténèbre au frôler de leurs ailes mortes. Il se ressouvient, en un désespoir jaloux, que des éternités le séparent de cet état de pureté sublime où, dès ce monde et à travers toutes les joies, est parvenu Salomon.

Le sentiment de cette différence entre sa consécration et celle du Royal-Inspiré suscite en lui des terreurs nouvelles dont l’intensité s’augmente à chaque battement de ses tempes glacées.

Comment l’horreur de ces instants lui est-elle infligée, s’il a mérité la Lumière !…

Il subit un intervalle inconnu.

Il est pareil à une pierre volcanique qui, animée d’une impulsion terrible, serait retenue au bord du