Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/68

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Bref, on conçoit qu’il s’agit, ici, d’une entreprise d’affichage sans précédents, à responsabilité illimitée, au matériel infini : le Gouvernement pourrait même la garantir, pour la première fois de sa vie.

Il serait oiseux de s’appesantir sur les services, vraiment éminents, qu’une telle découverte est appelée à rendre à la société et au Progrès. Se figure-t-on, par exemple, la photographie sur verre et le procédé du Lampascope appliqués de cette façon, — c’est-à-dire cent mille fois grandis, — soit pour la capture des banquiers en fuite, soit pour celle des malfaiteurs célèbres ? — Le coupable, désormais facile à suivre, comme dit la chanson, ne pourrait mettre le nez à la fenêtre de son wagon sans apercevoir dans les nues sa figure dénonciatrice.

Et en politique ! en matière d’élections, par exemple ! Quelle prépondérance ! Quelle suprématie ! Quelle simplification incroyable dans les moyens de propagande, toujours si onéreux ! — Plus de ces petits papiers bleus, jaunes, tricolores, qui abîment les murs et nous redisent sans cesse le même nom, avec l’obsession d’un tintouin ! Plus de ces photographies si dispendieuses (le plus souvent imparfaites) et qui manquent leur but, c’est-à-dire qui n’excitent point la sympathie des électeurs, soit par l’agrément des traits du visage des candidats, soit par l’air de majesté de l’ensemble ! Car, enfin, la valeur d’un homme est dangereuse, nuisible et plus que secondaire, en politique ; l’essentiel est qu’il ait l’air « digne » aux yeux de ses mandants.