Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/97

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— offrent un aspect vague qui se prête aux plus superstitieuses visions. Et, lorsque, soulevés en masses multiformes par une tempête, les flots se ruent, dans l’obscurité, contre le promontoire de Portland, l’imagination du passant perdu qui se hâte sur les grèves, — aidée, surtout, des flammes versées par la lune à ces ombres granitiques, — peut songer, en face de ce castel, à quelque éternel assaut soutenu par une héroïque garnison d’hommes d’armes fantômes contre une légion de mauvais esprits.

Que signifiait cet isolement de l’insoucieux seigneur anglais ? Subissait-il quelque attaque de spleen ? — Lui, ce cœur si natalement joyeux ! Impossible !… — Quelque mystique influence apportée de son voyage en Orient ? — Peut-être. — L’on s’était inquiété, à la cour, de cette disparition. Un message de Westminster avait été adressé, par la Reine, au lord invisible.


Accoudée auprès d’un candélabre, la reine Victoria s’était attardée, ce soir-là, en audience extraordinaire. À côté d’elle, sur un tabouret d’ivoire, était assise une jeune liseuse, miss Héléna H***.

Une réponse, scellée de noir, arriva de la part de lord Portland.

L’enfant, ayant ouvert le pli ducal, parcourut de ses yeux bleus, souriantes lueurs du ciel, le peu de lignes qu’il contenait. Tout à coup, sans une parole, elle le présenta, paupières fermées, à Sa Majesté.

La reine lut donc, elle-même, en silence.

Aux premiers mots, son visage, d’habitude impas-