Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/121

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― Si une seule de vos objections subsiste, nous refusons tous deux d’aller plus loin.

Lord Ewald redevint pensif.

― Hélas, mes yeux sont clairvoyants : je dois vous en prévenir.

― Vos yeux ? ― Dites-moi, ne croyez-vous point voir, distinctement, cette goutte d’eau ? Cependant, si je la place entre ces deux feuilles de cristal, devant le réflecteur de ce microscope solaire et que j’en projette le strict reflet sur cette soie blanche, là-bas, où tout à l’heure vous apparut l’enchanteresse Alicia, vos yeux ne récuseront-ils pas leur premier témoignage devant le spectacle, plus intime, que leur dévoilera d’elle-même cette goutte d’eau ? Et si nous songeons à tout l’indéfini des occultes réalités que recèlera ce liquide globule, encore, nous comprendrons que la puissance même de notre instrument, sorte de béquille visuelle, est insignifiante : la différence entre ce qu’il nous découvre et ce que nous voyons sans son secours, par rapport à tout ce qu’il ne peut nous montrer, étant, à peu près, inappréciable. ― Donc, n’oubliez plus que nous ne voyons des choses que ce que leur suggèrent nos seuls yeux ; nous ne les concevons que d’après ce qu’elles nous laissent entrevoir de leurs entités mystérieuses ; nous n’en possédons que ce que nous en pouvons éprouver, chacun selon sa nature ! Et, grave écureuil, l’Homme s’agite en vain dans la geôle mouvante de son moi, sans pouvoir s’évader de l’Illusion où le captivent ses sens dérisoires ! ― Donc, Hadaly, en abusant vos yeux, ne fera pas autre chose que miss Alicia.

― En vérité, monsieur l’enchanteur, répondit